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Le rapport de la CIA – comment sera le monde en 2020

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Rapport de la CIA, Analyses Politique
257 pages
Edité en 2006
Publié chez pocket
Présenté par Alexandre Adler

Le rapport de la CIA, Décryptage

Habituellement, ce n’est pas le type de livre que je lis. Celui-là fait exception avec son sous-titre « comment sera le monde en 2020 ? ». Je me suis dit : « on est en 2022, c’est exactement le bon moment pour lire ce truc sorti en 2006 et confronter la boule de cristal de la CIA à l’épreuve du temps ». Je ne sais pas comment il est arrivé dans ma bibliothèque. Ces livres ont plutôt le don de m’agacer avec leurs analyses prospectives sur le ton professoral des essayistes qui ont appris de l’histoire et qui connaissent les rouages du monde qui nous passe bien au-dessus de la tête, à nous, pauvres béotiens.

A. Adler le visionnaire omniscient

Et bien, je suis rassuré. Ce livre ne fait pas exception à ce que je pense du genre. Dans la préface de 43 pages de ce rapport de la CIA, A. Adler se fait plaisir dans une charge en règle contre l’islamisme, la source de tous nos maux, dans de grandes phrases avec plein de mots compliqués. Alors bon, je ne connais pas ce type, mais il faut avouer qu’en 43 pages j’ai vite fait de le classer dans la catégorie des donneurs de leçons imbuvables proaméricains. D’ailleurs, il dit lui-même à deux reprises qu’il se sent obligé de conseiller les Etats Unis sur deux points fondamentaux… On se demande comment la CIA a pu ne pas consulter Môsieur Adler avant de pondre son rapport…

Un peu plus loin, voilà comment il parle du problème islamique, en proposant à nouveau trois conseils aux USA, qu’il semble juger seuls aptes à diriger le monde :

« tout d’abord, comme dans une plaie infectée, isoler les parties saines du centre tuméfié. Le Maghreb, l’Iran, l’Afghanistan, la Turquie, l’Azerbaïdjan et la Turkménie ont tout pour devenir des espaces régionaux intégrés, tournés vers l’Europe et le vaste monde, et potentiellement démocratiques, car ils sont déjà tous réellement pluralistes… ».

A. Adler un visionnaire aveugle

Je vais abréger le suspense, Monsieur Adler pensait en 2006 que la Russie à bout de souffle n’avait aucune ambition de pouvoir et que la chine serait maîtrisable par les USA. Il a dans la foulée totalement négligé l’éventualité des révolutions arabes. De là à imaginer en plus que la chine prendrait exemple sur les USA en s’immisçant dans l’économie d’autres pays dans des échanges « gagnants gagnants » – sic – comme elle le fait massivement en Afrique, il y a un monde qui est à l’opposé du 2020 dans lequel Adler croyait vivre.

Les sources du rapport de la CIA

Il est écrit en introduction que celui-ci n’a pas pour but de prédire l’avenir, mais bien d’anticiper les possibilités, pour mieux y faire face. Pour cela, plusieurs scénarios sont échafaudés. Les quatre plus plausibles sont étayés pour finir sur le bureau des décideurs étasuniens. Il se trouve que pour échafauder ses scénarios, la CIA s’appuie sur nombre d’experts à travers le monde, dont, je vous donne en mille, Goldman Sachs. Ceux qui ne voient pas la vache arriver dans le couloir. Magnifique, comme ça, si vous n’aviez pas complètement confiance dans le truc, cette fois vous savez pourquoi. Pour rappel, le rapport a été achevé en 2005 et la crise des subprimes date de 2007 et 2008.

Venons en au rapport de la CIA

Ce rapport se présente plus comme une étude de cas que comme une prévision. Il s’appuie sur nombres d’informations venues de toute la planète et rassemblées sur le site déclassé : www.cia.gov/nic. Ainsi, chaque analyste en herbe peut avec les mêmes données établir son propre scénario pour 2020.

Autre info intéressante, il est fait pour établir des prévisions « à long terme ». Oui, pour la CIA, 15 ans (2020 quand on est en 2005), c’est le long terme. Cela montre, d’une part le niveau d’incertitude du monde et d’autre part l’impossibilité dans laquelle on est, avec des gens comme ça, de s’occuper des questions qui se traitent vraiment sur le long terme. L’environnement, la planète, etc.

Un rapport pour qui ? Pour quoi ?

Ce rapport est donc destiné aux décideurs américains pour traiter les problèmes stratégiques de géopolitique, pas du tout pour s’occuper de rendre le monde meilleur ou plus supportable pour nous. C’est sans doute pour cela qu’il est précisé d’entrée de jeu que tous les scénarios s’appuient sur des « aléas possibles » comme quelques « crises économiques passagères » ou quelques « conflits locaux qui ne pourront impliquer les grandes puissances à grande échelle ».

Le rapport s’appuie aussi sur des fondamentaux nécessaires, quel que soit le déroulement de la situation, comme la nécessité pour les membres de l’Europe :

« d’adapter leur main-d’œuvre, réformer leurs systèmes de protection sociale, leur éducation et leurs systèmes fiscaux et accueillir des populations immigrées en volume croissant (en provenance surtout des pays musulmans) »

On reconnaît bien ici l’américain donneur de bons conseils qu’il ne saurait appliquer pour lui-même.

Voici les 4 scénarios du rapport de la CIA :

1er, la Pax Americana

Pour préserver la prédominance des USA dans le changement politique et forger « un nouvel ordre mondial » (Rien que le nom me donne des frissons.). Cette Pax Americana est jugée peu probable car le contexte ne se prête plus à laisser les USA diriger complètement le monde (sans blague ?) d’autant plus que la nouvelle génération a oublié de les traiter en sauveur du monde comme l’a fait l’ancienne, après la 2e guerre mondiale.

2e, le monde ultra mondialiste de Davos

Une utopie « magnifique » qui se déroulera en tâche de fond de notre monde et qui sera une sorte de rouleau compresseur de croissance inévitable avec pour objectif de maintenir une paix relative grâce aux différents accords entre pays et continents. Le monde selon Davos, c’est une croissance économique débridée et une mondialisation effrénée avec l’inde et la chine qui devance l’Europe (mais jamais les USA), bref le rêve absolu. Le dogme de ce scénario est que la croissance est le seul moteur de stabilité mondiale. Si la croissance s’arrête, le repli sur soi s’installe. Le nationalisme, les frontières, les conflits et le travail de la mondialisation est à l’arrêt.

3e, le chaos islamique

Le terrorisme mal organisé freine la mondialisation et la mise en place de ce joli ordre mondial, mais pas seulement. C’est un cycle de la peur global avec prolifération d’armes de destructions massives, proliférations des conflits locaux et de leurs effets domino, accession de certains groupes franchisés aux armes nucléaires vendus par des pays pas trop regardants. Etc. Plein de joyeusetés qui font froid dans le dos et que, bien sûr, les USA doivent piloter à distance pour que ça reste à leur avantage. C’est le « CIA touch ».

4e, le grand califat

Un mouvement mondial (facilité par les nouvelles technologies) de politiques identitaires radicalisées. En ligne de mire, l’islam politique qu’il faut absolument combattre en avançant les pions bien placés des USA.

Halte au feu

Islamisme, l’ennemi n°1 de la CIA

Sérieux, vu de 2022, c’est à pleurer. Après tout, le grand califat, pour certain, doit être assimilable à une grande mondialisation. Pas exactement celle à laquelle on pense d’habitude, mais dans la mesure où c’est un idéal pour un nombre croissant de personnes sur terre, c’est à prendre en compte.

Reste une idée lancinante qui revient à travers presque toutes les pages de ce livre : l’islamisme est le seul rempart à la mondialisation, car il est antiprogressiste. C’est pour cela qu’il faut le combattre. Au final, l’analyste ne manque pas de préciser qu’il faudra en passer par une phase douloureuse pour supprimer les velléités des forces pro califats. En gros, la guerre est inévitable.

La CIA a le melon

Dans tous les cas, les USA restent l’institution primordiale (oui, restent, pas deviennent, ils sont déjà au centre de l’univers, au cas ou vous ne le sauriez pas). L’Europe décline jusqu’à n’exister qu’à travers la présence américaine sur son sol.
À ce niveau, on n’en est pas encore à la moitié du bouquin. Autant vous dire que c’est l’été et que plus d’une fois j’ai eu envie de me servir de ce torchon pour allumer le barbecue.

Plus loin, il est toujours question de mondialisation à outrance et de croissance globale. Toujours présenté sous le meilleur jour. Les progrès de la médecine nous tiendront à l’écart des pandémies (si la CIA le dit, c’est vrai). Les progrès de la science amélioreront la production d’eau potable et de nourriture (produire de l’eau ? Intéressant concept. À partir de quoi ?). Par « améliorer », il faut comprendre « augmenter ». Comme si l’on pouvait augmenter la quantité d’eau comme ça en claquant des doigts. L’expansion des technologies faciliteront les affaires, les spéculations et l’enrichissement sans production. Y compris la spéculation sur les matières premières qui ruinent des pays. Une des « évolutions » sera la perte progressive du concept de vie privée, mais qui s’en soucie ?

La CIA comme laxatif ?

Bon, je vais faire rapide parce qu’il y a beaucoup de rabâchage au fil des pages. Les décideurs sont peut-être malcomprenants, ils aiment sans doute qu’on leur dise plusieurs fois les choses, je ne sais pas… Donc le message est que la mondialisation, l’ouverture des marchés, les flux migratoires, sont absolument nécessaires (le dernier point ne concerne pas directement les USA). Sans mondialisation, c’est la guerre et la mondialisation n’est pas compatible avec l’islamisme. La montée de l’islamisme, c’est la guerre.

Une chose choquante que j’évoquais au début est l’absence complète de traitement des questions fondamentales. Il se passe quoi si l’on ne peut plus vivre sur cette planète parce que la croissance l’a détruite ? Comment préserver la stabilité en amorçant une décroissance ? Je ne dis pas que c’est un but à poursuivre pour la CIA, mais je m’interroge qu’on puisse échafauder des scénarii sans une seule ligne à ce propos, alors que des associations parlent de réfugiés climatiques par millions, d’extinctions d’espèces et de forêts primaires qui laissent place à des champs de palmiers pour nous gaver d’huile. Ça me dépasse.

Que retenir de ce rapport de la CIA

Franchement, il y a une chose dont j’ai vraiment horreur, ce sont les choses « à moitié » et les choses « presque ». C’est à dire, par exemple, que je n’arrive pas à ne pas finir quelque chose que j’ai commencé, comme ce livre. Et dans le cas présent, c’était un problème de ne pas réussir à passer à autre chose.

Je ne sais pas quoi tirer de ce rapport de la CIA. Je pense que le plus intéressant n’est pas le message, mais la tournure d’esprit dans laquelle il est réalisé et cet esprit est vraiment moche, à gerber.