

Ne pleure pas ma belle, la masterclass du polar de Mary Higgins Clark
Informations commerciales
Ne pleure pas ma belle est un polar de Mary Higgins Clark.
Édité en Français en 1988 par Albin Michel.
279 pages
Résumé
Leila, actrice en vogue, tombe de la terrasse de son appartement et meurt. Tout accuse son mari, le richissime Ted Winters, de l’avoir poussée. Elizabeth, la sœur de Leila, est la principale témoin à charge. Pour la réconforter avant le procès, Minna, la propriétaire d’un institut de bien-être pour stars, l’invite dans son établissement. Elle invite également Ted en espérant qu’Elizabeth changera d’avis avant le procès.
Mon avis sur ne pleure pas ma belle
Un polar qui frôle la perfection à tous points de vue. Décortiquons-le ensemble.
Le scénario
C’est une vraie réussite. Elizabeth adorait sa sœur, mais elle aimait aussi Ted, son mari. Quelques instants avant la mort de Leila, Elizabeth était au téléphone avec sa sœur qui se disputait avec Ted. La veille, elle avait fait une scène en public à la fin de laquelle elle quittait Ted. Si elle ne peut pas douter de ce qu’elle a vu et entendu, Elizabeth sait que sa sœur avait des problèmes et que Ted l’aimait profondément.
Minna, une riche baronne est mariée à un homme très dépensier. Elle est aussi l’agent qui a lancé la carrière de Leila. Elle réunit Elizabeth, Ted, son bras droit et son avocat dans son institut. En guise d’invité de prestige, se joint à eux une millionnaire qui vient de gagner à la loterie.
Quand Ted et Elizabeth s’aperçoivent qu’ils se trouvent au même endroit, ils sont d’abord furieux d’avoir été manipulés par Minna, dont le lecteur ne comprend la motivation que beaucoup plus tard. L’ambiance se tend puis tout le monde s’observe.
Lorsque la secrétaire de l’institut revient de congés, la situation s’emballe. Cette vieille femme était également la secrétaire de Leila. Elle répondait à son courrier et a connaissance de nombreuses lettres de menaces qui minaient le moral de l’actrice.
Les personnages
Mary Higgins Clark prend le temps et le soin de mettre en scène ces huit personnages principaux dont à priori seuls deux (Elizabeth et Ted) sont liés par la mort de Leila.
C’est là tout le génie que déploie l’auteure. Elle réussit au fil des pages à lier tous les personnages entre eux pendant le deuxième tiers du livre. Elle fait transpirer, à travers diverses situations, les raisons que chacun aurait eues d’en vouloir à Leila. Dans le dernier tiers, la culpabilité de Ted devient plus douteuse. L’auteure fait intervenir un assassin masqué qui supprime ceux qui cherchent à établir la vérité sur la mort de Leila et l’origine de lettres anonymes.
Le lecteur fait des hypothèses, se prend au jeu de l’inspecteur qui arrive dans l’institut après le premier meurtre. Les points de vue s’enchainent, il passe d’un personnage à l’autre, il est perdu dans sa recherche du coupable.
La gestion de l’invité mystère
L’auteure le fait intervenir dans une narration à la troisième personne omnisciente dans laquelle elle décrit ses agissements et ses motivations. Le seul indice dont dispose le lecteur est le pronom personnel utilisé : « il ». On élimine immédiatement Minna, Elizabeth, la secrétaire et la gagnante du loto de la liste des suspects. Par contre, certains passages font ressortir des motivations de Ted qui revient dans cette liste.
On pourrait assimiler cette pratique à des fausses pistes, mais c’est plus que ça et plus subtile, à mon sens. Cette structure met en lumière le fait que tout est lié d’une manière ou d’une autre. La nature des liens peut varier, mais des interactions passées ou à venir existent entre tous les personnages, et plusieurs pourraient endosser le rôle de ce personnage mystère qui vient troubler le jeu des relations entre les invités de l’institut.
Les lieux
Ne pleure pas ma belle est un huis clos ou un « cosy mystery » comme certains les appellent maintenant. La différence est que les suspects ne sont pas réunis dans une bibliothèque en attendant, béas d’admiration, les déductions géniales et abracadabrantes d’un inspecteur infaillible, mais dans un institut de bien-être. Ils ont le loisir de se faire masser le matin après un cours d’aquagym, de prendre des plats équilibrés dans un restaurant de luxe et de jouer au tennis l’après-midi.
Un lieu qui est à l’opposé du drame qui s’y joue et dont seuls les visiteurs qui ne sont pas liés au meurtre de Leila profitent pleinement.
La narration de Mary Higgins Clark
Tellement de maitrise de la part de Mary Higgins Clark. Ce roman est une leçon pour auteurs de Thrillers et de polar.
Le livre est tenu en 279 pages. Ici vous avez uniquement les descriptions nécessaires à la compréhension des lieux et des personnages. Absolument rien n’est superflu. On est loin des Thrillers modernes de 800 pages dont la moitié ne sert en rien l’histoire. Au contraire, Mary Higgins Clark joue avec les ellipses. Elle saute d’un personnage à l’autre et crée des coupures dans la narration qui laissent le lecteur la bave aux lèvres. Elle manie la frustration, sans jamais atteindre le dégout ou la lassitude.
Elle fait également varier le rythme de ses phrases, de ses paragraphes et de ces interchapitres quand elle passe d’une scène à l’autre. Plus la lecture avance, plus les séquences se contractent.
Pour finir, Mary Higgins Clark a une arme redoutable : le point d’interrogation. À de très nombreuses reprises, elle finit ses paragraphes par une question que se pose un personnage ou que l’un pose à l’autre, juste avant de changer de scène. Cette manipulation a pour effet de mettre le cerveau du lecteur en ébullition. Ces questions, qu’il ne se serait pas posées sans cette intervention, tournent en rond dans son esprit et brouillent ses déductions. Habituellement, je déteste qu’un auteur me prenne par la main pour me dire ce que je dois penser de ces personnages ou quelles déductions je dois faire des situations qu’il a décrites. Ici, ce n’est pas du tout le cas. C’est parfaitement intégré à la narration de l’histoire et c’est un outil incroyable.
Doit-on lire ne pleure pas ma belle ?
Comment ? Vous n’avez toujours pas lu ne pleure pas ma belle de Mary Higgins Clark ? Lâchez tout de suite cet ordinateur/téléphone/tablette et foncez chez votre libraire/bibliothèque. C’est promis, vous ne perdrez pas votre temps.