ubik - philip-k-dick - 4e
2 étoiles

Ubik, de Philip K. Dick, supercherie ou génie ?

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Ubik est un Roman de science-fiction écrit en 1966 et publié en France en 1970
« Nouvelle » traduction d’Helène Collon publiée par J’ai Lu
Dépôt légal 2023

Résumé

Joe Chip est un inertiel (antipsy) sans le sou qui travaille chez Runciter. Une équipe dont il fait partie est envoyée sur la lune par un client inquiet d’intrusions psy dans son entreprise. Sur place, ils sont victimes d’un attentat. Runciter est gravement blessé et emporté sur la terre dans un caisson cryo.

Le thème de la semie-vie dans dans Ubik

Les morts sont plongés dans un état de veille pour peu que leur cerveau soit fonctionnel. Ainsi, ils peuvent être réveillés sur demande pour être consultés. C’est l’idée centrale du roman. On voit d’abord un des protagonistes consulter sa femme pour la direction de son entreprise dont elle siège toujours au conseil d’administration. Ensuite, lors d’une mission sur la lune, ce directeur d’entreprise est tué. Il est cryogénisé par son équipe pour être plongé en semie-vie à leur retour sur terre. Ce personnage mort garde donc toute son importance pour la suite de l’histoire.
La semie-vie est même le prétexte à brouiller les temporalités.
Des personnes en semie-vie sont parasitées par un esprit puissant qui s’ennuie et tente de tuer ses congénères morts-vivants par pur amusement. Dans la narration, ces interactions sont très réalistes.
De cette manière Philip K. Dick brouille les repères du lecteur qui n’a aucun moyen de savoir si la scène qu’il lit est réelle ou si elle se déroule en semie-vie. De même, il n’a plus moyen de savoir qui est mort ni qui est vivant.

Le défilement du temps dans Ubik

Philip K. Dick joue avec les temporalités. Il plonge ses protagonistes dans une régression du temps. Le début de l’action se déroule en 1992 (qui est l’aboutissement du futur) et défile à rebours jusqu’en 1932. Cette régression s’opère avec une rapidité que les personnages ne peuvent que subir.
C’est le début de la chute de votre consentement.

Ubik et la suspension volontaire d’incrédulité

Et oui, depuis le temps, vous l’aviez peut-être vu venir, on en remet une couche sur cette fameuse suspension volontaire d’incrédulité. Pour les néophytes, je rappelle que c’est une sorte de contrat tacite entre un auteur de fiction et son lecteur. Le premier se doit de proposer un univers qui se tient sans contradiction. Le deuxième accepte que la magie existe, que telle ou telle créature étrange soit commune dans le monde ou que la technologie permette de voyager d’une planète à l’autre.

Dans Ubik, à partir de la moitié du livre, vous êtes largués. Vous commencez à lire un roman d’anticipation (ou de science-fiction pour l’époque) avec des technologies avancées qui ont permis la colonisation de la lune. En parallèle, des humains ont développé des capacités cognitives et psychologiques très très poussées. Un thème qui appartient plus au fantastique qu’à la SF. Le vrai problème arrive quand le déroulement de temps s’inverse. Cet événement crée une rupture et vous fait quitter la science-fiction pour la fiction et le fantastique. Vous ne comprenez plus ce que vous lisez et vous n’arrivez plus à le situer ni dans le temps ni dans les lieux. Votre bonne volonté s’effrite et les pages qui défilent perdent tout leur intérêt. Si vous n’arrivez plus à croire aux préceptes du livre qui semble se contredire, si vous ne comprenez plus les réactions des personnages et encore moins les enjeux de leur aventure, l’histoire n’a plus d’intérêt.

C’est ce qui m’est arrivé à la lecture de Ubik.
Je suis allé lire les avis d’autres lecteurs. Note de 3,97/5 sur Babélio avec des avis enthousiastes et des lecteurs qui ont compris le livre. Déjà, rien que ça, j’ai envie de connaître ces personnes et de voir comment fonctionne leur esprit.

La société de consommation d’Ubik

Voilà un paramètre qui m’a beaucoup plus plu. Malheureusement, il est abandonné en cours de route. Il est très présent au début du livre pour poser le contexte et puis, fini.

Dans Ubik, tout doit s’acheter. Même la porte de votre appartement doit être payée pour s’ouvrir. Pour moi, c’est le paroxysme de la société de consommation vers laquelle on tend. On a des abonnements pour tout et bientôt nous serons abonnés aux choses réellement vitales dont nous ne pourrons nous passer. Dans Ubik, cela ne concerne que les choses matérielles ou les objets de confort, mais les curseurs sont poussés au maximum. C’est très intéressant et ça aurait mérité d’être présent plus en profondeur dans le livre. Plutôt que comme le prétexte à la pauvreté d’un inspecteur qui accepte un boulot parce qu’il n’a pas le choix financièrement.

Mon avis sur Ubik

La première question qui me vient est « comment fait-on pour trouver un éditeur quand on est en pleine dépression et accroc aux amphétamines ? ». C’est le tour de force qu’a réussi Philip K. Dick avec le voyage hallucinatoire d’Ubik.

Ubik vous repousse de votre lecture

Index du lecteur de K. Dick :

Inertiel, télep, précog, psis, 68,2 unités BLR d’aura télépathe, balise ID, poscred… En 10 pages, Philip K. Dick a déjà perdu les moins assidus, et je passe les néologismes un peu compréhensibles comme « vidphone »…

Dans les pages suivantes :

« Refus de prélèvement sur la magiclé triangle, puis la magiclé coeur »…
Quel est l’intérêt de cette phrase sans contexte et incompréhensible ?

« Une gourmandise qu’il fallait être complètement pizelé pour s’offrir ».
Je ne sais même pas quel effet était censé être obtenu avec cette qualification. C’est un compliment, un défaut, un vice ???

Les protagonistes n’ont « pas de protophasons ». On ne sait pas ce que c’est ni à quoi ça sert donc on s’en fout complètement.

Une explication rapide de la fonction d’un précog tombe p45. On croit s’approcher d’une explication générale et puis non, on repart dans le délire des listes de personnages.

Quand enfin arrive l’intrigue

Les événements qui créent l’intriguent arrivent p101. L’auteur aura mis sérieusement votre patience à l’épreuve.

Après beaucoup d’errance et de situations qui tournent en rond, une révélation p242 mène au plus beau passage du livre. K. Dick nous offre de la manière la plus romantique le dernier combat d’un homme qui lutte contre la mort. Il ne s’agit pourtant que de gravir un étage d’un escalier, mais cette fois l’insistance des descriptions et surtout le ressenti du personnage et son impression que toutes le forces de l’univers se liguent contre lui pour l’attirer dans le néant et lui qui s’accroche à la rambarde de cet escalier… c’est tout simplement magnifique.
Pour cet homme, c’est certes douloureux, mais c’est un combat qu’il accepte la tête haute.

Pourquoi Ubik ?

Vous vous rappelez la mallette de Pulp Fiction ? Et bien voilà, Ubik c’est pareil. C’est le moteur de la résolution de l’intrigue et pourtant, vous ne saurez jamais vraiment de quoi il s’agit.
Certains crient au génie. Moi ça me laisse bouche bée.

Au final, que retient-on d’Ubik ?

Un sac de nœuds. Voilà à quoi me fait penser Ubik. Un sac de nœuds dans lequel vous n’aurez de cesse de chercher l’extrémité. Quand ce sera fait, vous déferez laborieusement tous les nœuds et vous rendrez compte que la ficelle est coupée et qu’il faut recommencer avec une autre. Quand vous croirez avoir fini, il en restera toujours.