

La complainte d’un sexagénaire
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« White » est une autobiographie de Bret Easton Ellis.
Édité par Robert Lafont et publié par 10/18
dépôt légal : septembre 2020
294 pages
Un autoportrait ? Encore ?
Non, mais sérieusement, c’est quoi cette mode ? À quel moment un auteur juge qu’il est lui-même le meilleur sujet pour écrire un livre en mettant sa pudeur de côté et en racontant au passage la vie de ceux qu’il a croisés et qui n’ont peut-être pas envie de la voir étalée ? Quel égo faut-il avoir pour se dire que ça va intéresser les lecteurs ?
Pourtant, le fait est que c’est le cas. Comme le dit Antony Hopkins, nous sommes dans une société qui s’intéresse plus à l’emballage qu’au contenu. Le fait de tout connaître d’un auteur est donc plus intéressant que toutes les fictions qu’il a à raconter. Beaucoup de lecteurs préfèrent lire une mauvaise biographie d’un auteur qu’un roman. Quelle tristesse.
Bret Easton Ellis commence par nous parler de ses films préférés des goûts, de ses petits amis, de la vie dans les années 80 puis de politique. C’est toujours pour donner son propre avis sur ces sujets. Malgré tout, on en tire le point de vue d’une classe sociale à une époque qu’on a tendance à prendre pour objectif puisqu’il n’est pas forcément flatteur.
Résumé de « White »
Bret Easton Ellis est né en 1964. Il regarde son passé avec beaucoup de nostalgie, mais aussi le présent avec beaucoup d’amertume et sans doute pas mal d’incompréhension. Les réseaux sociaux, la rapidité du monde, pour lui qui se vante d’écrire un livre en 5 ou 7 ans, et la superficialité des individus sont au cœur de ce portrait du monde à travers sa vie.
Bret Easton Ellis prône la liberté de parole, mais blâme les chouineurs de milléniaux qui ne s’en servent que pour se victimiser. Il critique sévèrement twitter et les messages péremptoires sans fonds, mais s’en sert très largement pour exposer sa vie et ses idées. Il critique la classe supérieure blanche (qui se juge seule apte à élire un vrai président, par exemple)… mais finalement, il se comporte exactement de la manière de ceux qu’il critique.
De quoi parle « White » au fond ?
Ce livre se résume en deux mots : #cetaitmieuxavant et #okboomer.
Ces deux expressions résument parfaitement « White ». Bret Easton Ellis ne comprend pas. Il est étranger dans son propre monde alors qu’il en possède tous les codes et qu’en tant que personne publique il vit par lui.
C’est sans doute dû au fait qu’au fil des ans, on prend nos petites habitudes dans un monde qu’on croit éternel. Sauf qu’il bouge plus vite que nous. C’est à peu près quand nous commençons à nous y sentir à l’aise et performants que nous commençons à être dépassés. On croit pouvoir faire ce qu’on fait éternellement et de mieux en mieux, mais c’est faux. À quarante ans, un jeune vient vous taper sur l’épaule, il vous appelle monsieur et vous montre que ce que vous faites est dépassé. Si ça ne l’est pas, il a de toute façon des outils plus performants que vous pour le réaliser. Obsolète, le quarantenaire. Le cinquantenaire est un meuble qu’on déplace quand il gêne… pendant 15 ans, car oui, il faut quand même tenir jusqu’à 65.
P54 Bret Easton Ellis relate les critiques de « moins que zéro » son premier livre :
« un bulletin d’information en provenance du front – c’est à ça que ressemblent les adolescents d’aujourd’hui ! – »
De « white », on pourrait dire : un bulletin de l’arrière-garde – c’est à ça que ressemble un boomer aigri ! – .
Et un peu plus loin, son aveu de la course au système des réseaux.
« Et qui n’avait pas besoin de capter quelques clics ? »
Mon avis
Bret Easton Ellis le dit lui-même, il ne pensait pas écrire un autre roman. Il trouve que cette forme désuète ne lui correspond plus (ou plutôt sa manière d’écrire ne correspond plus à son époque). Pourtant, il trouve la force de jeter son amertume dans ce livre. Je ne l’ai pas acheté et si ma femme ne l’avait pas amené à la maison, je ne l’aurais jamais lu. J’ai horreur des auteurs qui se retournent, se contemplent le nombril, disent qu’ils ont vécu tant de choses magnifiques que ceux d’aujourd’hui ne peuvent pas comprendre. Ils finissent par dire que ceux d’aujourd’hui sont stupides et valent tout juste la peine qu’ils s’adressent à eux (sauf pour acheter leur livre).
Oui, je suis encore une fois acide, mais ne vous trompez pas sur mon propos. C’est parce que je suis tout à fait d’accord avec Bret Easton Ellis que je le critique ainsi, car je lui en veux de n’avoir rien fait pour me remonter le moral. Au lieu de ça, il m’a en quelque sorte mis face à un miroir qui entretient un état dépressif et acerbe.
Oui, le monde est pourri. Il est tenu par des abrutis décomplexés et sans morale (j’écris ce texte la semaine où Elon Musk a fait deux saluts nazis en pleine conférence). Alors quoi, maintenant ? On fait un suicide collectif ? Non, ce n’est pas une fatalité.
Qu’est-ce qu’on retient de « White » ?
Et bien que c’est un livre qui s’adresse principalement aux voyeurs. Ceux qui veulent percer l’intimité des gens en espérant y trouver quelque chose de croustillant à partager après. Si vous tenez à le lire, choisissez un moment où tout va bien dans votre vie. Si, comme Georges Abitbol, l’homme le plus classe du monde, votre devise est « monde de merde », n’y touchez pas, au risque qu’il vous entraine au fond du trou.
Si vous êtes simplement nostalgique des années 70-80, Bret Easton Ellis, vous fera revivre un tas de moments de cette époque, mais attention avec ce genre de psychotrope, la descente est raide.