


Le professeur Peaslee est happé dans l’abime du temps grace à Gou Tanabe
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Nouvelle d’horreur de HP Lovecraft écrite et publiée en 1936.
67 pages dans l’édition condensée de Robert Laffont.
Gou Tanabe reprend cette histoire dans un manga en noir et blanc de 347 pages.
Résumé de dans l’abime du temps
Nathaniel Peaslee, professeur d’économie, s’évanouit. À son réveil, il a une personnalité complètement différente et rompt avec toutes ses habitudes devant l’incompréhension générale. Pendant 5 ans, il va parcourir le monde et vivre des expériences bouleversantes. Puis un jour, l’esprit qui l’habitait repart et quand il se réveille, il n’a aucun souvenir des cinq années qui viennent de s’écouler ni de ce qu’il fait, ni des nombreuses choses qu’il a apprises.
Pourtant, ses rêves sont hantés de visions incompréhensibles de plus en plus précises. Il décident de partir sur les traces de celui qu’il était.
Mon avis sur la nouvelle de H. P. Lovecraft
La structure du récit Lovecraftien
On retrouve Lovecraft dans un récit à la construction habituelle : « hey, j’ai vécu un truc fou. Bougez pas, il faut que je vous raconte ». Suivent d’interminables descriptions.
En effet, le protagoniste commence par vous dire qu’il a eu une expérience traumatisante, délirante qui lui a fait perdre la raison (pourtant, il est bien là pour vous la raconter). En gros dès le début, on connaît la fin. Il a fait un voyage en Australie où il a retrouvé la trace de l’esprit qui l’a habité pendant 5 ans.
Un guide touristique du monde de la grand-race
Aucune pierre ne vous aura échappé dans la visite de monuments gigantesque. Vous apprendrez tout de la lutte qui a opposé ceux de la grand-race aux choses très anciennes de l’Antarctique. Chaque pas franchi en rêve par le professeur est scrupuleusement notifié, mais ils ne sont pas pour autant reliés à des interactions fortes entre le personnage et son univers. C’est un visiteur relativement distant, un spectateur, comme le lecteur qui n’est pas obligé de se sentir impressionné par ces récits dont l’auteur dit lui-même qu’il les a sans doute inventés en rêve.
Toujours pas une ligne de dialogue
Dans l’abime du temps se rapproche de la longueur d’un roman, pourtant il n’y a toujours pas une seule ligne de dialogue. Seuls quelques échanges sont rapportés à postériori, à la voix passive. Ce qui rend le texte dense et parfois un peu répétitif. Malgré tout l’art de Lovecraft dans cet exercice de décrire l’indescriptible. Le texte n’est pas vivant. Dans un sens, je pense que cela participe à la lourdeur de l’ambiance qu’il instaure.
Toujours pas d’action non plus
Hormis le voyage du professeur, accompagné de son fils et de deux autres personnes qui sont des figurants, il ne se passe rien. Peaslee arpente des constructions cyclopéennes hors du temps, il rencontre des races extra-terrestres. Il est possédé par l’une d’elles. Son esprit erre dans un corps qui ne lui appartient pas dans un univers inconnu. Il découvre une quantité de savoir qui rendrait fou n’importe qui. Finalement, il nous signifie qu’il se sent perdre la raison. Heureusement qu’il nous le dit, car il y a très peu d’émotions qui nous le montrent.
Mon avis sur le manga de Gou Tanabe
Des images sur des mots
Passons sur les visages inexpressifs des personnages aux yeux ronds auxquels je n’arrive toujours pas à m’habituer. Les images créées par Gou Tanabe sont magnifiques et donnent enfin vie à un récit obscur. La retranscription des interminables descriptions de Lovecraft trouve sous le crayon de Gou Tanabe une consistance magnifique et une organisation plus percutante. Ce qui est long et fastidieux à lire est un plaisir à admirer.
S’il y a un aspect que j’ai beaucoup aimé en particulier dans cette adaptation, c’est le jeu des fonds de page. Pour toutes les parties de l’histoire réelle, le fond des pages est blanc, alors que pour toutes les parties rêvées, le fond est noir. Ce qui permet une distinction nette entre rêve et réalité, mais ce serait trop facile si c’était aussi simple. La fin de l’histoire est totalement sur fond blanc. Est-ce que Gou Tanabe veut nous inciter par ce procédé à croire que tout ce qui se déroule dans la cité antédiluvienne de la grand-race fait partie de la réalité ? Peut-être. Pour ma part, je préfère penser que cela traduit l’effacement de la frontière entre le rêve et la réalité pour le professeur Peaslee.
Des ajouts et développements bienvenus
Gou Tanabe ajoute également des dialogues entre les personnages qui sont vraiment bienvenus. Principalement avec le fils ou le médecin du professeur Peaslee. Il détaille également certaines lignes de textes équivoques. Quand Peaslee dit avoir des connaissances sur le futur et en parler comme s’il s’agissait du passé. Gou Tanabe ajoute seulement deux pages où la radio annonce l’entrée en guerre de l’Allemagne, puis de l’Autriche-Hongrie. Il fait dire au professeur que ce conflit sera ravageur et qu’il ne fait que préparer une guerre encore plus terrible dans laquelle seront déployées des armes de destruction massive qui vont changer la face du monde. Voilà, ce n’est pas grand-chose, mais cela traduit tout un état d’esprit de désespoir.
Ne vous méprenez pas, je ne reproche pas à Lovecraft (mort en 1937) de ne pas avoir vu ce qu’allait engendrer la Deuxième Guerre mondiale, mais il aurait pu s’aventurer à spéculer sur un aspect particulier de son temps. J’aurais beaucoup aimé savoir ce qu’auraient donné quelques lignes de SF de Lovecraft.
Ce manga de Gou Tanabe s’est-il élevé à la hauteur de l’œuvre de Lovecraft ?
Il a fait plus que cela. C’est à nouveau une très belle mise en image d’un obscur récit d’horreur psychologique. Le manga de Gou Tanabe surpasse à mon avis l’œuvre originale.