Guide Touristique 520 / 16465 mots
« Cher voyageur, EdenEarth vous ouvre les bras et vous ne regretterez pas votre voyage. Quelle que soit votre destination, vous ne voudrez plus la quitter. Tout ce dont vous avez toujours rêvé et tous les lieux que vous voulez visiter se trouvent à portée de main. Faites votre choix parmi plus de deux cents scénarios entièrement paramétrables selon la moindre de vos envies. Cent pour cent de nos clients s’estiment satisfaits et prêts à revenir. Alors, vous aussi, n’hésitez plus, appelez le +339 60 04 21 57 25 et vivez votre plus grande expérience. »
— Tu as vu, c’est encore cette pub à la télé, elle passe plusieurs fois par jour depuis quelque temps.
— Mouais, je l’ai déjà vue aussi. Ce qui est sûr c’est qu’ils savent vendre du rêve. Donnez-nous votre argent… Donnez-nous votre argent, on vous donnera du vent à la place.
— Tu exagères, ça a l’air très intéressant tout de même. Sans compter tous les avantages. En seulement deux jours de congé, nous pouvons passer deux semaines de vacances. Et tu imagines, un séjour paradisiaque à quelques kilomètres de chez nous ?
— Je ne vois pas comment, passer deux jours dans un fauteuil pourrait s’appeler des vacances. Moi je veux sentir l’air pur, ressentir le vent sur mon visage, le contact de la mer sur mon corps quand je me baigne ; pas rester assis dans leur foutu laboratoire.
— Je suis quand même très curieuse à propos de ces promesses.
— Et moi je suis très curieux à propos de leurs tarifs. Tu as remarqué qu’ils n’en parlent jamais. Ça doit encore être à la mode pour les riches.
Solène n’insista pas plus. Son mari était braqué sur cette question. Elle changea de sujet avec la ferme intention de revenir à la charge à un moment où il sera dans de meilleures dispositions. Fabrice, de son côté, avait déjà fait les comptes. Entre les réparations de la voiture et le ballon d’eau chaude de cet hiver, il leur restait neuf cents euros, voyage compris, pour leurs vacances d’été. Il ne comptait pas les gaspiller dans un attrape-gogo. À la place, il avait l’intention de leur trouver un bon petit coin, peut-être dans le Sud-ouest. Ce serait parfait. L’odeur de la résine de pin, la douceur du climat, le tout à deux pas d’un grand lac moins traitre que l’océan.
En fin de semaine, Solène était en télétravail. Elle lui proposa de venir faire les courses avec lui, pour gagner du temps. Fabrice poussait un caddy en se bagarrant avec une roulette bloquée. C’était toujours pour lui. Autour d’eux, tout le monde dirigeait paisiblement un chariot docile alors que lui s’acharnait à dompter le sien pour rouler en ligne droite. Il était concentré sur la domestication de l’engin récalcitrant quand Solène poussa un cri de surprise.
— Regarde ! Ça alors, c’est bien ce que je crois ?
Fabrice leva la tête et plissa les yeux.
— Ça alors… comme par hasard.
— On dirait qu’ils ont mis un point de vente ici, je n’étais pas au courant. C’est sûrement un signe.
— Surement, un signe que tu m’as bien piégé, oui.
Guide touristique | Quand le virtuel est trop beau pour être vrai
« Guide Touristique » est une nouvelle fantastique d’anticipation disponible dans le recueil « Tourments ».
Nouvelle de 73 pages
Recueil autopublié en 2024 et disponible sur Amazon
Résumé
Dans un futur proche, Solène et Fabrice décident de faire le voyage de leur rêve. Pour cela, ils décident de confier leurs envies à EdenEarth, un voyagiste virtuel qui crée vos vacances selon vos envies et qui vous les font vivre grâce à un procédé innovant de réalité virtuelle très convaincant.
Malheureusement pour eux EdenEarth est un peu plus qu’un voyagiste et en profite pour réaliser une collecte de données massive de leurs clients. Pire, cette fois, il ne s’agit pas uniquement de leur proposer des publicités personnalisées.
Processus de création de la nouvelle
Parfois, le parcours de certaines histoires est étrange. La genèse de celle-ci est très particulière. Comme quoi l’inspiration se cache vraiment partout. Je vous raconte
L’idée de départ
On m’a offert le parcours d’accompagnement à l’écriture de the artist academy. Cet « accompagnement » n’est pas une formation puisqu’il n’y a pas de tutorat ni de correction de vos écrits. Vous avez juste des vidéos enregistrées que vous regardez et vous faites à la fin l’exercice conseillé, ou pas. Un de ces exercices est une médiation de Bernard Werber. Je me suis dit que j’allais jouer le jeu et je me suis installé. Il fallait visualiser la terre de très très loin et se rapprocher doucement jusqu’à un certain endroit paradisiaque qui devait recéler sa part d’étrange et le découvrir petit à petit. On devait ensuite écrire le guide touristique de cet endroit en dix pages.
Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais j’ai tout de suite été super inspiré. J’ai d’abord vu un endroit magnifique, mais rapidement j’ai réalisé que ce n’était qu’un verni qui ne cachait rien d’horrible comme des monstres ou des plantes carnivores, mais des hommes qui vous regardaient, vous jugeaient et jouaient avec vous. Ça s’est mis un peu en forme, mais la concrétisation a été très compliquée.
L’intention littéraire
Je voulais écrire un texte qui parle du problème de la collecte de données des grandes corporations et à des méthodes de manipulation de masse dans le but d’avoir une population sous contrôle.
Ces deux sujets ne font plus partie de la science-fiction puisqu’on est en plein dedans. La collecte de données est un sujet très courant chaque fois qu’on parle de google, de Méta et même de Shein qui revend toutes ses données clients au parti chinois. La manipulation de masse est complètement à l’ordre du jour dès qu’on parle d’élection ou de grand événement couvert par les médias. Il n’y a qu’à voir les sous textes des JO qui s’organisent en ce moment. Entre les fausses déclarations sur l’état de Paris, le greenwashing des sponsors, les escroqueries sur la construction des sites à grand renfort de millions d’euros, etc., il y a de quoi faire.
Le scénario
Solène et Fabrice se font voler leurs données personnelles. Ils ont peur qu’on s’en serve contre eux et décident de riposter. Un pirate informatique les informe que derrière EdenEarth se cache un complot dans les plus hautes sphères de l’état et que le combat engagé s’étend bien au-delà de leurs petites vies. Solène et Fabrice se laissent convaincre et décident de se battre pour retrouver leur indépendance. Seulement, ce pirate nihiliste nourrit un projet guère plus enviable que la firme. Ils doivent trouver un moyen de se débarrasser des deux en même temps.
Architecte vs Jardinier | Commencer à écrire sans connaître la fin
C’est à partir de là que les problèmes ont commencé. Qu’est-ce que j’ai galéré pour écrire cette nouvelle. J’ai du trainer dessus plus de huit mois en tout, à la recommencer, l’abandonner, y revenir, la retourner dans tous les sens, la reabandonner et ensuite m’y mettre à reculons pour trouver une fin. La plupart du temps, j’écris plutôt des nouvelles courtes, mais avec celle-là, je me suis laissé emporter dans une construction à laquelle venaient toujours se greffer des éléments nouveaux que je devais intégrer en cassant plus ou moins ce qui avait été fait avant. Sans dire que c’est la deuxième fois que j’écris une histoire sans en connaître la fin et que c’est bien la dernière fois qu’on m’y prend. C’est vraiment trop pénible de faire coller une fin à une histoire en respectant le déroulement des scènes et l’évolution des personnages. C’est beaucoup plus simple d’écrire les scènes et les personnages quand on sait d’avance où ils vont et je ne parle même pas de la cohérence du tout qui vient beaucoup plus naturellement.
Je suis en train de lire un S. King qui est un adepte de l’écriture « au fil de l’eau » et bien je vous promets que, la plupart du temps, ça se sent. Vous ne pouvez pas (dans la fiction et encore plus dans le polar) berner un lecteur en le baladant sans savoir où vous allez. En tout cas, vous pourrez tromper une fois mille personnes, mais vous ne pourrez pas tromper mille fois une personne.
Les personnages
La pression de 2024 n’est pas anodine dans l’écriture. J’ai commencé à écrire avec un couple « classique » et je me suis demandé s’il n’était pas stéréotypé et si je ne devais pas inverser les rôles pour ne pas contrevenir aux dictats modernes. Et puis finalement non. Le garçon est le technicien des deux et la fille est l’empathique des deux. En plein dans les clichés. Bha, tant pis.
Le pirate et sa clique m’ont aussi amusé à écrire (outre le clin d’œil à Matrix). Ce n’est pas vraiment un méchant, la place était déjà prise par EdenEarth, et je me suis replongé dans mes souvenirs de lan party avec des potes, à l’époque où les jeux en ligne n’existaient pas et où pour jouer avec des potes, il fallait déplacer les machines et les connecter entre-elles. Le temps d’une nuit, le sous-sol d’un pote ou l’appartement d’un autre se transformaient en salle informatique surchauffée.
Je souhaitais au départ qu’EdenEarth reste impersonnelle comme une entité froide et calculatrice. J’ai fini par la personnifier pour inclure quelques éléments supplémentaires avec son dirigeant. Je ne sais pas si c’était nécessaire, mais je l’ai gardé dans la version finale.
Les lieux
Comme cette nouvelle a une structure plus complexe, il est normal qu’il y en ait plus qu’à mon habitude. Je me suis inspiré de ce que je connaissais de certaines entreprises. Le fait que les gars de la sécurité viennent des RG avec des pratiques bien particulières n’est pas un hasard. C’est le cas chez Servier, par exemple, et j’imagine que d’autres groupes qui ont des choses à cacher ont les mêmes pratiques.
Le titre
Très simple, je crois que c’est le titre de l’exercice de la séance avec B. Werber. Je trouvais qu’il collait bien, puisque c’est le point de départ de l’histoire et je l’ai conserver de puis le début.
Fun Fact sur les voyages en 2024
hier (le 31/07/2024), j’ai lu un article à propos des Jeux Olympiques (ie, de paris) qui ont lieu en ce moment. Comme beaucoup de Japonais n’ont pas le temps ni l’argent pour venir, une entreprise a créé un voyage virtuel au 7e étage d’un immeuble. Les gens prennent leur billet comme pour un vrai voyage, ils sont assis dans une reproduction de cabine d’avion et un écran géant leur projette une vidéo de Paris pendant les 13 heures d’un vol Tokyo-Paris… Je dois dire que j’étais un peu fier d’avoir anticipé ce nouveau type de tourisme. Il ne manque plus que les casques de réalité virtuelle. Pour les complots sur les collectes de données, on a déjà ce qu’il faut.
Le mot de la fin
Franchement, ce n’est pas l’histoire dans laquelle j’ai pris le plus de plaisir, loin de là. En fait, ça a été une torture. Je voulais vraiment arriver au bout parce que le sujet me plaisait, mais à la fois la réalisation ne me convenait jamais. Au départ, je l’avais rangée. C’est quand j’ai choisi le thème du recueil (les voyages) que j’ai décidé de la ressortir en me disant qu’elle irait quand même bien dans le lot.
J’ai beaucoup galéré à l’écrire et je n’ai pas beaucoup d’affect dans ce texte. Mon point de vue dessus n’est pas très objectif (encore moins que pour les autres, je veux dire). J’aimerais beaucoup savoir ce que vous en avez pensé et comment vous l’avez perçue.