Homo climaticus 596 / 4407 mots
Hubert Gransky s’était fait une belle renommée dans la petite sphère scientifique des spécialistes de la biochimie hypothétique. Ces quelques personnes dans le monde avec un haut niveau de connaissances et de recherches concrètes et théoriques explorent le champ de l’apparition et du développement de la vie en milieux inconnus. Ils projettent leurs esprits dans des mondes spéculatifs et imaginent comment la vie peut s’y développer. Pourtant, rien n’est définitif. Certains avaient perdu toute crédibilité pour avoir publié des hypothèses réformistes sur l’évolution d’homo sapiens. Le collège scientifique réfutait systématiquement les voix discordantes au profit d’un discours moralement acceptable, soit-il incomplet ou falsifié pour couper court à toute question gênante. La version officielle et partagée devait offrir un tout cohérent, sans aucune place aux suppositions et sans aspérités auxquelles s’accrochent les révisionnistes et complotistes de tous poils. Les plus extrémistes de ces chercheurs élaboraient des hypothèses environnementales qui aboutissaient à une évolution vers de nouveaux types de vie. Ceux-là étaient rangés dans la catégorie science-fiction, voués uniquement au divertissement et n’en sortaient plus. Ce carcan malsain était pénible pour Hubert qui avait toujours préféré voyager hors des sentiers battus. Il avait quitté assez jeune la branche de la biologie appliquée pour des recherches théoriques en biologie prospective. Il avait décidé de remettre en question les causes du vivant et de démontrer qu’une évolution biochimique peut exister dans des conditions inconcevables pour le commun des mortels. Il faut savoir qu’on trouve, sur Terre, une centaine d’acides aminés et que seuls vingt-deux sont codés dans le génome du vivant de notre planète. Tout ce qui vit, de l’axolotl, dont le brin d’ADN est six fois plus long que le nôtre et qui a le pouvoir de régénérer des organes ou des membres détruits jusqu’au ver parasite de la mante qui prend le contrôle de son système nerveux et la pousse à se noyer pour être expulsé et se développer dans l’eau en passant par l’homme, tout est basé sur ces vingt-deux acides aminés. Les possibilités offertes par les combinaisons des soixante-dix-huit autres donnent le vertige quand on essaie d’imaginer à quoi pourraient ressembler des créatures qui les utiliseraient.
Ses « amis » s’étaient écartés de lui au fil du temps et ses sources de crédits ministériels menaçaient d’être supprimées tous les deux mois. Ses derniers soutiens dans le milieu lui avaient tourné le dos quand il avait accepté un poste du côté obscur, dans le privé.
Un homme l’avait abordé à la sortie du travail, avec un dossier épais comme ça portant une étiquette à son nom. Il lui avait passé un sacré paquet de pommade, et dans le sens du poil. L’homme avait retracé le CV du biologiste, lui avait dit toute son admiration et sans lui laisser le temps d’en placer une, lui avait déclaré qu’il allait changer sa vie pour que lui, puisse changer le monde. Rien que ça.
— Monsieur Gransky, je vous parle d’un accès à tout ce dont vous rêvez pour l’aboutissement de vos recherches, un budget intarissable et des moyens technologiques de dernière génération pour expérimenter les applications de vos théories.
— Et par quel miracle comptez-vous trouver ces millions d’euros qui sont hors de portée d’un État ? Je ne crois pas aux miracles.
— Vous devriez, car mon employeur est un philanthrope qui croit en vous. Vous n’êtes pas le seul à imaginer le futur, monsieur Gransky. Il y a des hommes, comme vous, qui ont les capacités de le changer et d’autres, comme lui, qui en ont les moyens. Il pense que ce serait criminel de ne pas les faire collaborer.
Fiche de lecture de la nouvelle « Homo Climaticus »
Informations commerciales
Cette nouvelle de 4407 mots fait partie du recueil nouvelles noires pour nuits blanches disponible sur Amazon
Dépôt légal novembre 2022
Résumé de la nouvelle
Un biologiste abandonne une carrière dans la recherche publique et accepte un poste dans un laboratoire privé. Un riche mécène a suivi ses travaux depuis longtemps et lui propose de financer ses recherches sans limites. Petit à petit, le chercheur reçoit des requêtes étranges à inclure dans ses recherches. Il commence à mettre en doute le bien-fondé de ses travaux.
Quand il partage ses soupçons, il comprend vite qu’il est sous surveillance. Un inconnu le prévient qu’il est en danger.
Intention du texte « Homo Climaticus »
En tout premier lieu, je voulais essayer d’écrire une nouvelle d’anticipation. Le genre se prête aux avertissements en tous genres sur les dérapages des humains et j’ai voulu apporter ma pierre à l’édifice en fonction de mes moyens. J’ai choisi le domaine de la science et j’ai imaginé ce qu’on pourrait faire de nos connaissances si l’on ne s’imposait pas de limites déontologiques.
Il me paraît évident que la tentation doit être forte pour ceux qui en ont les connaissances et la passion de savoir ce qui se passerait si… La plupart du temps, c’est à ce moment qu’un voyant s’allume dans l’esprit de celui qui formule ce rêve. Il se dit : « non, on ne peut pas aller jusque là ».
D’autres fois, plongées dans un environnement défaillant, ses limites disparaissent. Des personnes se permettent des expériences qu’on n’a aucun mal à qualifier d’atroces avec un minimum de recul. Les exemples ne manquent pas dans l’histoire. Je ne vais pas tous les citer, mais la Seconde Guerre Mondiale en a fourni un certain nombre. Des « campagnes de vaccination » en Afrique ne sont pas en reste.
Les recherches
L’idée de départ
L’étincelle qui a permis ce texte vient d’un article que j’ai lu dans les Google actu de mon téléphone au bon moment. Elle parlait de la grande diversité des acides aminés et de sa très faible utilisation sur terre dans le monde du vivant.
J’ai creusé la piste du premier article sur les acides aminés. D’abord pour éprouver la fiabilité de son contenu et ne pas raconter trop n’importe quoi. D’une recherche à l’autre, j’ai fait le parallèle entre cette faible utilisation des acides aminés et la très faible variation de l’ADN qui mène à une grande diversité des espèces vivantes.
On ne rappelle jamais assez l’importance de trouver des sources fiables quand on cherche une information et de confronter cette information à plusieurs sources. Surtout avec la prolifération des parutions faites par des IA textuelles ou visuelles. Ne pas faire d’amblé confiance à ce qu’on lit ou ce qu’on voit est une règle de base d’hygiène mentale.
Contenu des articles
(Naturellement, j’ai oublié de noter les sources. À cette époque, je ne pensais ni à un blog ni à Instagram.)
Il existe, sur Terre, environ cinq cents acides aminés. Seuls vingt-deux sont codés dans le génome du vivant de notre planète. Rendez-vous compte, tout ce qui vit est composé de ces 22 acides aminés. L’axolotl (dont le brin d’ADN est six fois plus long que le nôtre), a le pouvoir de régénérer des organes ou des membres détruits. Le ver parasite de la mante prend le contrôle de son système nerveux et la pousse à se noyer pour être expulsé et se développer dans l’eau. Les possibilités offertes par les combinaisons des autres donnent le vertige quand on essaie d’imaginer à quoi pourraient ressembler des créatures qui les utiliseraient.
Pour en savoir plus la page wikipédia sur les acides aminés est un peu diifficile.
J’implore le pardon des biochimistes si la nouvelle leur paraît aberrante. Le but n’était pas d’en faire un exposé scientifique.
Processus de création de la nouvelle « Homo Climaticus »
Le scénario
C’est le principal de celle nouvelle. C’est l’histoire qui véhicule le message.
C’est tout bête. Le principe est valable dans la plupart des cas. Vous prenez une information et à partir de celle-ci, vous vous dites « et si… ». Cette question est la formule magique pour vous emmener sur des chemins que vous n’imaginez même pas.
Et si, comme l’ADN, les acides aminés étaient manipulés par les laboratoires dans des êtres vivants ?
Et si cela n’émanait plus du hasard de l’évolution, mais d’un laboratoire ?
Et s’il y avait un plan machiavélique dans tout ça ? Une sorte de savant fou ?
Ici, le savant n’est pas fou, mais en pleine possession de son art. Il n’est pas fondamentalement mauvais. C’est un passionné à qui l’on a dit, fait toi plaisir et ne regarde pas la facture.
Au fur et à mesure, celui qui paie fait valoir quelques exigences. Anecdotiques au départ, elles deviennent étranges et dérangeantes. Le scientifique a gouté aux moyens infinis mis à sa disposition et se dit qu’un petit écart est tolérable comparé à l’importance de ses travaux.
C’est juste à ce moment-là qu’il a effacé sans s’en apercevoir la frontière déontologique qu’il s’était juré ne jamais franchir.
Les personnages
La nouvelle tourne autour de deux personnages principaux. J’ai choisi de ne pas faire apparaître le mécène. Il est simplement représenté par un homme de main pour conserver son mystère et son importance.
Le lanceur d’alerte est secondaire. Il représente une activité, mais n’a pas de consistance propre.
Les lieux
Cette fois, ils ne sont pas très importants. La seule fois où j’insiste dessus c’est pour mettre la pression sur le chercheur qui commence à se poser des questions sur son environnement aussi contrôlé.
Comment finir cette histoire
La fin de ce genre d’histoire peut être de deux sortes.
La fin pessimiste dans laquelle le plan du mécène s’accomplit et c’est moche.
La fin optimiste dans laquelle le savant déjoue le plan machiavélique quand il prend conscience des dérives dangereuses qu’il sert.
J’ai choisi le 2e. La nouvelle est à la limite entre l’uchronie et la science-fiction. De nos jours, on ne sait plus trop ce qui se trame dans certains laboratoires. On sait déjà que l’industrie pharmaceutique manipule le marché des maladies pour revendre les remèdes. Je préfère cette fois une fin avec un peu d’espoir plutôt qu’une fin fataliste.
C’est décidé, le savant sauve le monde d’un plan diabolique, mais plausible. Le hasard de l’inspiration a fait intervenir un groupe de lanceurs d’alertes qui aide le scientifique.
Mais ce n’est pas suffisant. Il faut trouver une fin spécifique pour le savant qui ne peut pas juste reprendre une vie normale après ça. Il ne faut pas non plus en faire un martyre et le tuer à la fin (encore). Ça n’apporterait rien. Je ne vous dévoile pas cette fin, vous la découvrirez dans la version publiée.
Allons plus loin
Extrapolons le postulat de départ
J’ai lu un article un jour par hasard sur des offres d’emploi. Pas une liste d’emplois à pourvoir, mais un essai sur les différents emplois qui n’étaient pas forcément occupés, simplement parce qu’ils étaient tellement improbables que personne ne pensait à postuler. Parmi eux, il y avait « scénariste pour le Pentagone ».
Les militaires américains, imités peu de temps après par les Français, avaient besoin de personnes issues du milieu de la science-fiction pour leur pondre toutes sortes de mises en situation inattendues. Des enchaînements de conflits théoriques dans lesquels ils devraient projeter leurs équipes d’intervention. Le but était de créer des simulations d’environnements inattendus, de les faire sortir de leurs ornières et de les habituer à s’adapter à tout, même à l’inconcevable pour eux.
Vous pensez qu’il n’y a pas de rapport. Le voici.
Et si leur prochain objectif était de préparer les hommes à différentes menaces ou différents environnements ?
L’Armée s’intéresserait à un nouveau métier : les spécialistes en biochimie hypothétique. Ces quelques personnes dans le monde avec un haut niveau de connaissances et de recherches concrètes et théoriques explorent le champ du développement de la vie en milieu inconnu. Ils projettent leurs esprits dans des mondes inconnus et imaginent comment la vie pourrait se développer ailleurs de manière pérenne. Ils établissent des hypothèses environnementales compatibles avec la création d’un nouveau type de génome.
Les militaires, ont établi des protocoles tout à fait sérieux de contact avec les extra-terrestres (sans avoir la moindre idée de ce qui pourrait se cacher derrière ce terme générique) pour leur personnel. Il est acceptable de penser qu’ils s’intéresseraient à mettre des formes sur les sujets de leurs craintes. Avec l’étendue des connaissances actuelles et en laissant de côté une partie de l’éthique habituelle, des entreprises privées pourraient transformer les hypothèses les plus folles en possibilités.
Prenez un peu de recul et imaginez
Quelque chose observe notre terre à la loupe comme nos chercheurs le font avec une culture de bactéries dans une soucoupe.
Vivons-nous dans la soucoupe d’un être tellement avancé que nous ne représentons pas mieux qu’une bactérie à ses yeux ?
Quelqu’un joue-t-il déjà avec ce vivier dans le parc biologique qu’est la terre ?
Est-il vraiment dans la nature de l’Homme d’être incapable de relier entre eux tous les éléments que le monde renferme ?
Sommes-nous condamnés à vivre chacun sur nos îlots de connaissances bien spécifiques entourés d’océans d’ignorance ?
Pourquoi les immenses puissances de calcul à notre disposition sont principalement utilisées à détourner notre attention des questions essentielles, alors qu’on pourrait créer des simulations virtuelles à partir de quelques-unes des possibilités de développement du vivant les plus solides ? Des hypothèses parmi lesquelles on peut citer l’existence de brins d’ADN à plus de 2 hélices. Qu’est-il imaginable d’envisager avec un organisme codé sur les acides aminés que nous n’utilisons pas dans un ADN à 5 hélices ? Un tel être aurait-il développé des sens lui permettant de voir d’autres plans d’existences ? De voyager à travers eux ? Cet organisme aurait-il percé les mystères de la création de la vie ? Aurait-il guéri les maladies ?
Les spécialistes en biochimie hypothétique ont ce rôle d’organiser les connaissances et d’ouvrir les perspectives mêmes les plus terrifiantes. Reste à savoir si ces prises de conscience nous mèneront à une plus grande osmose avec notre monde ou à une plongée dans la folie.