Meilleur ? Qu’est-ce que « meilleur » et par rapport à quoi ?
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Le meilleur des mondes est un livre d’anticipation
Écrit en 1931
Édité par Plon
Publié par Le livre de poche
Dépôt légal 1er trimestre 1964
Résumé
Bernard est un alpha +, un rang élevé au sein de la communauté, mais son conditionnement n’a pas été parfait. Bernard a des tendances contestataires et des comportements peu orthodoxes qui le mettent en danger ainsi que ceux qu’il fréquente. Son supérieur veut l’exiler. Pour se défendre, il ramènera d’un voyage, un homme sauvage qui causera la perte de ce dirigeant créera beaucoup d’autres dommages collatéraux dans ce monde parfait.
Une épigraphe incompréhensible
« Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu’on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ? … Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d’éviter les utopies et de retourner à une société non utopique moins “parfaite” et plus libre. »
Nicolas Berdiaeff
Utopie, définitions
Google : Idéal, vue politique ou sociale qui ne tient pas compte de la réalité. Conception ou projet qui paraît irréalisable.
Larousse : 1. Construction imaginaire et rigoureuse d’une société, qui constitue, par rapport à celui qui la réalise, un idéal ou un contre-idéal.
Wikipedia : représentation d’une société idéale, opposée aux sociétés réelles imparfaites. régime politique idéal, société parfaite, communauté d’individus vivant heureux et en harmonie
CNRTL : 1. Plan imaginaire de gouvernement pour une société future idéale, qui réaliserait le bonheur de chacun.
Les propositions de Synonymo sont intéressantes :
escamotage, fantasme, fiction, hallucination, idéal, illusion, illusionnisme, mirage, mythe, phalanstère, phantasme, prestidigitation.
On est vraiment dans le fantastique, hors de toute réalité.
Chaque fois, l’idée qui ressort c’est une société idéalisée sans tenir compte de la réalité.
Alors, en quoi est-ce mal de travailler pour s’approcher d’un idéal et en quoi est-ce dangereux ?
Quel est le fond de la pensée de l’auteur quand il veut nous mettre en garde contre les utopies ?
Ce qu’il présente n’est en rien une utopie. Même pas pour les 4 ou 5 types qui régissent ce monde puisqu’ils en sont autant prisonniers que les autres.
D’accord, ils ont pouvoir de vie et de mort sur tous leurs sujets, mais ils regrettent beaucoup leur liberté et leur accès a toutes les connaissances qui n’étaient pas interdites. Cela ne correspond en rien à la liberté ni au bonheur.
Est-ce que le mot « utopie » avait un autre sens en 1931 ?
On était pourtant dans les années folles où tout était possible. La « der des der » était terminée. Était-ce la suivante qui se profilait qui créait déjà chez A. Huxley un sentiment de peur ?
J’ai vraiment du mal à comprendre cette crainte d’accéder à trop de liberté et de bonheur, comme si cela pouvait être trop.
Mon analyse du meilleur des mondes
C’est très long. L’idée générale est comprise au bout de quelques pages (en tout cas avant les 100 premières pages concernant la visite du centre de reproduction). Contrairement à 1984, il tourne en rond et ne propose qu’un tableau de société sans explication. Cette société n’est pas utopique, le pseudobonheur artificiel qu’elle propose n’a pas d’autre but que de maintenir sa propre stabilité (comme c’est répété à de nombreuses reprises). À aucun moment, il n’est question de liberté des peuples. (je vous accorde que quand on voit ce qu’ils en font, cette perspective est discutable). La remise en cause du modèle est poussive. Elle n’intervient que dans les 80 dernières pages.
Le scénario
Peut-on réellement parler de scénario dans le meilleur des mondes ? On plus sur un guide touristique suivi de la vie d’un enfant du système qui est une anomalie dans le protocole de génération des citoyens. Le comportement du personnage principal l’expose dans des situations où il se met en porte-à-faux, prétexte pour disséquer différents aspects du monde dans lequel il évolue. Le grain de sable du meilleur des mondes a la forme d’un sauvage arraché à son monde pour intégrer la civilisation.
Sexe, drogue, sans le rock’n roll
Tout le livre tourne autour de deux axes principaux : le sexe et la drogue.
Le sexe, car il sert à désacraliser le corps et à défouler les instincts des « citoyens » qui n’ont guère plus que cela.
« Chacun appartient aux autres » dans cette société « libre » où les sentiments n’existent plus vraiment et où l’attachement est banni.
La drogue. Elle est parfaite à force de recherche. Efficace, sans contreparties fâcheuses. Et prescrite par le système pour que vous soyez heureux en toutes circonstances. Elle vous défonce plus ou moins suivant ce que vous avez besoin d’oublier. Un demi-gramme vous permet d’apprécier une réunion qui serait pénible sans cela. Un gramme vous permet de paraître bon public lors d’une exposition qui vous barbe et à laquelle vous ne comprenez rien. Plusieurs grammes vous mettent carrément en congés de plusieurs heures à plusieurs jours. C’est normal, c’est que vous aviez besoin de faire un break.
Les personnages
Il y a peu de personnages puisque la plupart des êtres vivants sont des clones développés pour exécuter une seule tâche dans leur vie.
Dans la mesure où les créatures ainsi nées sont programmées dès leurs tubes de fabrication pour ne pas avoir de sentiments, on a du mal à s’y attacher. La vie c’est leur travail, comme les petites fourmis qu’ils sont. On ne ressent rien pour eux. Pire, il m’est arrivé d’être soulagé quand l’un d’eux rencontrait des problèmes. Je me disais « Bien fait ! Si on pouvait en être débarrassé… ».
L’homme sauvage qui n’a connu que la brutalité de sa réserve a une vraie mère qui vient de la civilisation. Il a lu Shakespeare et se sert de cette connaissance pour donner des leçons de civisme. C’est complètement décalé, mais sans jouer sur cet effet. Ce qui montre que ce n’est pas forcément voulu. Encore une fois, est-ce qu’on en avait la même perception en 1931 ? Je ne suis pas sûr.
Il sera contredit par le dirigeant du monde civilisé dans un grand plaidoyer contre la science, la religion et le libre arbitre.
« … ce serait cruauté pure de leur infliger des loisirs excessifs. »
« D’ailleurs, il nous faut penser à notre stabilité. Nous ne voulons pas changer. Tout changement est une menace pour la stabilité. C’est là une raison pour laquelle nous sommes peu enclins à utiliser des inventions nouvelles. Toute découverte de la science pure est subversive en puissance ; toute science doit parfois être traitée comme un ennemi possible. »
Les lieux
Contrairement aux personnages, les lieux sont parfaitement décrits. Ce sont eux les sujets du monde meilleur. Le centre de reproduction, 100 pages. La réserve de sauvages, 100 pages. Dans un cas, l’aseptisation et la perfection de la création assistée. Dans l’autre, l’homme primordial qui se reproduit naturellement, vit dans la crasse et les maladies, croit en Dieu, doit être fidèle et se défonce au mescal qui rend malade. Franchement, c’est à douter…
Un meilleur des mondes pas aidé par son écriture
Si vous aimez les phrases des 7 ou 8 lignes que vous devez lire 3 fois pour comprendre ce qu’elle essaie de dire, félicitation, vous avez trouvé le livre qu’il vous faut.
Si en plus vous aimez les constructions de phrases répétitives et les répétions, alors ce livre sera carrément votre Graal.
Mais ce n’est pas du tout mon cas.
Qu’est-ce que le meilleur des mondes ?
Pour moi, le meilleur des mondes n’est pas du tout dans la société décrite avec ces clones ouvriers et ses classes sociales. Il est dans le Soma, la drogue consommée continuellement par la population. Elle est décrite comme euphorisante et d’un soutien émotionnel parfait. Plus que cela, elle vous donne accès à des fragments d’éternité et de bonheur pur auxquels vous n’avez pas accès dans le monde réel. La consommation en continu raccourcit votre vie, mais chaque seconde passée dans le Soma vous fait vivre tellement de choses inouïes que de mon point de vue, le véritable monde meilleur se trouve là-bas. En tout cas, aucunement dans la société décrite à longueur de page.
Cette citation en page 14 me fait dire que j’ai peut-être raison :
« La révolution véritablement révolutionnaire se réalisera, non pas dans le monde extérieur, mais dans l’âme et la chair des êtres humains. »
Est-ce que je vous conseille le meilleur des mondes ?
Non. Franchement, il doit se trouver encore pas mal de personnes pour appeler ça « un classique ». Pour moi, c’est un roman poussif avec une écriture (ou traduction) laborieuse. Et encore une fois, il met en scène un futur périmé et en décalage avec les préoccupations de 2024. La TSF est un instrument de pointe. La consommation à outrance est fortement encouragée pour maintenir l’économie qui n’a d’autre but que de continuer à exister puisque de toute évidence les « citoyens » n’en profitent pas vraiment. C’en est au point où on se demande quelles conséquences, cela aurait si tout ce système s’effondrait. Tous les clones mourraient. Bon, comme ils ont le soma et ne servent à rien, on s’en fout. Les quelques dirigeants incapables de quoi que ce soit mourraient aussi. Bon, comme ils ne servent à rien, ce n’est pas grave non plus. Les quelques hommes sauvages dans leur réserve ne verraient pas non plus la différence… Alors quoi ? Un monde peut-il être « meilleur » s’il ne manque à personne quand il disparaît ?