Chasseurs de primes 510 / 4845 mots
Tout ce qui restait de notre passage était le nuage de poussière soulevé par nos motos et quelques cadavres. Nous traversions la région ouest des nouveaux États-Unis qui n’étaient unis que par leur nom et leur besoin de se refaire rapidement. Les campagnes dévastées des ex-immenses fermes agricoles étaient parsemées de coopératives au service des grandes corporations industrielles qui s’acharnaient à produire suffisamment pour les mégapoles en pleine expansion. Depuis la guerre, les gouvernements avaient fait sécession. Les affaires étaient aux mains de puissantes firmes qui dirigeaient les villes. Le pouvoir central avait disparu, ce qui facilitait les affaires. Certains disaient que les corpos géraient même les nouveaux États. Le marché noir était une conception dépassée. Le marché officiel l’avait englouti. Maintenant, tout se vendait et s’achetait ouvertement. Tout, jusqu’aux organes ou aux êtres complets. Les seules limites étaient celles de la morale. Autant dire que de nos jours, les possibilités que cela offrait surpassaient l’imagination d’une personne saine d’esprit.
Pour cette mission, je m’étais adjoint les services de Ric Grinder, une armoire à glace, coupe en brosse, veste militaire, regard qui tue avec des réflexes de prédateurs. Un type de la vieille école, pas un branque, il savait se servir de son Colt 2027. C’était la version automatique, qu’il graillait de perce-armures ou de balles expansives suivant le besoin. J’avais une confiance relative envers lui. Le genre de confiance qu’on évalue en eurodollars. D’ailleurs, le seul moyen de se fier à quelqu’un était de le payer suffisamment. S’il y avait encore une chose qui était respectée dans ce monde, c’était l’eurodollar. Sauf pour les punks, bien sûr, pour lesquels toute sorte de confiance était exclue. Ce Ric Grinder n’avait pas succombé à la tentation des augmentations à outrance et ne passait pas son temps à se défoncer pour tenir, ce qui était déjà un bon point pour lui. Il arrivait même qu’on ait une discussion de temps à autre.
Un mois plus tôt, j’avais été branché sur un contrat par un type à la réputation correcte. Il avait payé vingt pour cent d’avance, en précisant avec beaucoup de calme et d’assurance qu’il récupérerait la somme, si je décidais de ne pas remplir le contrat. Message reçu cinq sur cinq. De toute façon pour durer dans ce métier, il fallait éviter d’entuber le commanditaire. Surtout quand il payait cash et se déplaçait avec quatre gardes du corps. Quelques jours plus tard, je trouvais ce Ric dans les petites annonces. C’est à dire au bout d’un comptoir, attendant un client pour se faire de l’argent. Nous avions convenu de partager à cinquante-cinquante. C’est moi qui apportais l’affaire, mais son argument pesait dans la balance. En tant que solo expérimenté, c’est lui qui prendrait le plus de risques et qui assurerait notre protection. Ces solos étaient des gros bras qu’on pouvait s’offrir pour effectuer à peu près tout et n’importe quoi, pour une poignée d’eurodollars. Ils étaient faciles à trouver pour qui savait chercher et faciles à repérer pour qui avait l’œil habitué. Nous nous étions mis en route sitôt l’affaire conclue.
Chasseurs de primes
Informations commerciales
Cette nouvelle de 4845 mots fait partie du recueil Arracher les ailes des mouches en vente sur Amazon.
Dépôt légal juin 2023
Résumé de la nouvelle
Dans un futur où les grandes corporations font la loi, deux chasseurs de primes remplissent les contrats qu’ils ont acceptés. Ils doivent supprimer quatre personnes du paysage. Ensuite, ils retournent à Night City se faire payer.
Intention du texte
Avec cette nouvelle, je souhaitais revisiter le Far West façon cyberpunk 2020, car, oui, quand ce Jeu de rôles est sorti, 2020, c’était le futur. Je ne connais pas le jeu vidéo cyberpunk 2077, si ce n’est qu’il reprend presque tout du JDR, donc je ne m’étendrai pas dessus.
« Chasseur de primes » est donc une nouvelle assez traditionnelle dans la lignée des films de Clint Eastwwod. D’ailleurs, j’en reprends une réplique et une tournure scénaristique. Les moins jeunes sauront la trouver facilement.
Cette nouvelle a participé à un concours dont le thème était le “far-west”. J’ai tout misé sur l’originalité avec ce texte qui n’a qu’un rapport lointain avec le lonesome cow-boy qu’on imagine. Je ne l’ai pas écrite spécialement pour ce concours, c’est de l’oportunisme. Par contre, c’est le concours qui lui a donné sa longueur. J’ai pas mal rallongé l’univers, j’ai intégré des descriptions que j’avais négligées dans le texte de départ et j’ai aussi simplifié le langage spécifique cyberpunk, tout en gardant le principal pour plaire aux fanx et garder ce qui caractérise le genre (enfin, je crois). Merci à Guizacoatl de m’avoir envoyé l’annonce.
Création de la nouvelle
Le mélange des genres
En écrivant cette nouvelles, j’avais trois influences principales en tête : Le western, Cyberpunk et Orange Mécanique.
La première pour l’aventure, la deuxième pour l’ambiance et la troisième pour l’aspect cru et froid des personnages et de l’ensemble.
Les personnages
Au départ, j’avais deux personnages : un chasseur de primes et un gros bras qui couvrait ses arrières. Un seul personnage principal aurait rendu l’histoire un peu morose. Ça aurait manqué d’interactions.
Ensuite, j’ai choisi quatre « primes ». Ça me paraissait être un bon chiffre pour avoir suffisamment de diversité sans endormir le lecteur dans des scènes répétitives qui n’apportaient rien et avoir des situations suffisamment différentes. Et bien sûr, il me fallait quatre cibles très différentes et caractérisées. J’ai hésité à leur donner une justification, un “pourquoi” à tout cela. Je me suis aperçu qu’en fait c’était contre productif sur les personnages principaux et le fait qu’ils exercent un métier pour lequel ils ne posent pas de questions.
Les quatre scènes de chasse servent aussi beaucoup à planter le décor d’un univers cyberpunk avec les récupérations de prothèses, les cyberpsychos et les gangs qui errent aux abords des mégapoles. On découvre ainsi les différents groupes sociaux qui cohabitent. Ces séances m’ont servi à créer quelques dialogues à cerner l’état d’esprit des deux chasseurs très différents et leurs rapports. et à savoir qui ils sont. En ce qui concerne leurs vies en général, on n’a pas le temps pour ça, dans une nouvelle. Surtout, je voulais pour une fois que les décors soient importants dans cette histoire.
Les lieux
Je voulais que ceux qui ne sont pas familiers avec ce genre d’univers puissent se faire une image des lieux. La ville tout d’abord, mais aussi le bar. J’ai bien aimé décrire cet endroit, j’avais des images très précises de cet endroit en tête. C’est plutôt rare, mais pour ce bar, je n’ai pas eu de mal à le caractériser, je pense. Il y a une traversée rapide des différents quartiers pour marquer le système de vie des mégapoles et à l’extérieur, là où l’histoire commence, on a une zone ravagée et d’immenses fermes intensives pour nourrir la population. Tout cela devrait planter un contexte social futuriste et sombre dans l’esprit du lecteur.
Le scénario
Mais tout cela ne fait pas une histoire intéressante. Alors oui, je sais, vous allez me dire « ouais, en fait t’as copié un vieux western »… Non ! Je vous l’ai déjà dit. Ce n’est pas de la copie, c’est un hommage. Enfin, s’il vous plait, faites un effort pour retenir ce qu’on vous explique.
« Une histoire » c’est en fait une chute. Non, pardon, je ne vais pas me contredire. Une histoire, c’est d’abord un incipit (les premiers mots, ou le premier paragraphe d’un texte qui vous emporte. Ou pas, quand c’est raté). Ensuite, c’est la chute. D’accord, il faut un milieu, mais si vous n’avez ni le début ni la fin, pas la peine de faire un remplissage, il y a peu de chances que le tout fonctionne. À l’inverse, avec un bon début et une bonne fin, on peut pardonner quelques errances dans le ventre de l’histoire.
Les chasseurs de primes ont réuni les cibles de leur commanditaire et reviennent se faire payer. C’est là que Clint Eastwood arrive.
Attention, spoil de la fin. Acheter le livre pour la lire avant de gâcher la surprise.
La scène de la cible qui propose le double au tueur pour vivre et tuer le commanditaire à la place est en elipse dans mon histoire. Dans le film, le tueur accepte l’argent et vient la fameuse réplique « j’honore toujours un contrat ». Voilà qui fait une chute parfaite. De mon côté, ceux qui n’ont pas laréférence devront sans doute faire un effort plus important pour comprendre d’où sort cette fin.
Pour que ce soit une chute, il faut que la dernière exécution ne traine pas en longueur. J’ai expédié le meurtre en un clin d’œil. Il est réalisé par des professionnels, après tout. La chose compliquée dans ce genre de manipulation est de mettre suffisamment d’indices, mais pas trop pour que la fin surprenne le lecteur. Par contre, s’il remonte le fil de l’histoire, il retombera sur la victime qui souhaite leur parler avant de mourir. Une victime qui a des moyens. Ça peut mettre sur la piste certains lecteurs, mais je pense que la plupart seront surpris par cette fin. En tout cas, j’espère.
Comme on n’est pas avare de bonne scène de cow-boy, par ici, en voici une fameuse, tirée de « le bon, la brute et le truand » allez à 13:50.
Merci de m’avoir lu et à la prochaine.