La chevauchée des amazones, 514 / 1040 mots

Les intrépides Orlane et Enora se tenaient droites et fières sur leurs destriers, saluant la foule. Derrière venait Léatrice, la novice, raidie par le stress, épaulée par Lorine la vétérane. En tête marchait Valénia, leur cheffe qui menait cette escouade des meilleures chasseuses de la cité de Wilowdorf.
Les guerrières étaient parties au crépuscule, encouragées par toute la communauté. Sauf Rodric, occupé à préparer sa propre monture discrètement. Dans la nuit finissante de l’hiver, elles chevauchaient dans la neige en direction du volcan. Elles traversaient des paysages dévastés, jonchés de cadavres et portaient la lourde mission d’éliminer le cracheur de feu qui les terrorisait. Ce terrible dragon semait la désolation partout où il passait et avait le pouvoir de rendre fous ceux qui le voyaient sans avoir un esprit assez fort pour surmonter l’effroi que provoque son apparition.

C’était le premier combat de Léatrice. Bien qu’entraînée par les plus valeureux maîtres d’armes de la citadelle, la peur l’étreignait. Un soleil timide et blanc venait d’émerger. Leur vigilance ne devait pas faiblir. Leur ennemi possédait des dons phénoménaux pour détecter toute présence vivante, sauf celle des jeunes vierges, comme elles. Elles étaient ainsi les seules à pouvoir l’approcher, sans qu’il les sente, pour le combattre.

Elles arrivèrent aux abords de la ville dont les remparts ne formaient qu’une ligne de gravats. Les hurlements abominables des chiens accompagnaient leur déplacement. De pauvres hères enragés agonisaient le long de Chapellerue dont il ne restait que des ruines fumantes, preuves du récent passage du dragon. Léatrice grelottait sous les pièces de métal de son armure givrée par le vent glacial et son glaive battait dans son dos au rythme du galop. La gemme de lune qui pendait sur sa poitrine au bout d’une lanière de cuir lui rappelait la promesse faite à sa mère de revenir saine et sauve, mais une part d’elle-même sentait que ce premier combat pourrait aussi être son dernier.

Dissimulé par les énormes amas de pierres, Rodric suivait la cohorte. Le dragon était capable de détecter son odeur à des kilomètres à la ronde, mais il devait prendre ce risque, pour Léatrice, sa dulcinée, dont il était tombé en amour dès qu’il l’avait rencontrée. Ils avaient échangé leurs premiers mots, seuls, alors qu’elle était venue prier sur la tombe de son amie Ellys, morte au combat, et lui, juste à côté, sur celle de son père. Depuis, il ne songeait qu’à elle, prêt à tout pour la conquérir, pour partager le reste de sa vie. Il admirait, de loin, sa magnifique chevelure brune, ses longues jambes gainées de cuir noir. Mais d’abord, il devait la sauver du monstre.

« Toujours aucune trace », pensa Léatrice, soulagée de prolonger un moment de calme avant le déclenchement de la tempête. Elles se dirigeaient vers l’immense grenier de Champlein dont elles ne reconnaissaient rien. Pire qu’une ruine, le dragon l’avait transformé en cratère. Leur course reprit ; leur moral accru par la vue des crimes perpétrés par la monstrueuse force de la nature. Soudain, la bise leur amena l’odeur pestilentielle du lézard mangeur d’hommes, qu’elles identifièrent aussitôt.

La chevauchée des amazones

Comme le dit Pierre Lemaître : « écrire, c’est réécrire ». Oui, mais lui il sous-entend faire un premier jet et le retravailler. Alors qu’est-ce que c’est quand on réécrit le travail de quelqu’un d’autre ? Du plagiat ? Bha non, pas forcément.
Vous l’avez deviné, cette nouvelle n’est pas complètement de moi. Non, je ne cherche pas à me justifier. D’abord parce que l’autrice a été avertie de cette réécriture. D’autre part, parce que la lecture, puis la critique, puis la réécriture, fait aussi partie d’un travail créatif et éducatif chez l’écrivain. Donc il y a ce texte de Marie Maréchal que j’ai lu et que j’ai adoré parce qu’il était classique, mais nouveau. Posé, mais intense. Il avait une touche de quelque chose qui m’était inconnu dans mes démarches d’écriture et que je voulais m’approprier. À côté de cela, il y avait ce que j’estimais être des erreurs. Revenons en début.

Marie écrit une nouvelle de fantaisie. Pour essayer. J’ai bien essayé du polar et ça ne me branche pas. La fantaisie à l’inverse c’est mon truc. Quand je lis son histoire, je l’aime tout de suite, mais je ne peux m’empêcher d’y trouver des maladresses. Comme chacun le sait, il est beaucoup plus facile de voir la paille dans l’œil du voisin que la poutre qu’on a dans le sien. C’est vrai, mais ce n’est pas tout. Cela permet à mon sens de pointer plus facilement des défauts à éviter ainsi que des tournures efficaces desquelles s’inspirer.
En gros, je vous parle de l’importance des bêta-lecteurs. Pas des « sensitiv readers » parce que ça, je m’en tamponne. Les bêta-lecteurs sont ceux qui lisent les textes quasi à l’état de premier jet et qui vous disent s’ils ont compris l’intention, s’ils aiment les personnages, si les enchaînements sont bien construits, brefs, si tout tient debout. Des choses que vous ne voyez pas en tant qu’écrivain puisque, quand vous vous relisez, votre cerveau ne lit pas les mots écrits, mais les mots que vous croyez avoir écrits avec l’intention que vous avez en tête et pas du tout avec les prédispositions d’un lecteur. C’est comme ça qu’il m’est arrivé qu’un lecteur comprenne des choses tout à fait différentes de celles que je voulais faire passer. À l’inverse, il m’est aussi arrivé qu’il détecte des doubles sens qui m’avaient complètement échappé et qui sortent intuitivement lors de l’écriture sans que cela m’apparaisse consciemment.

Parlons donc de mon analyse du texte de Marie Maréchal.
Tout d’abord, la structure, les enjeux et les personnages me plaisent. C’est ce qui m’a poussé à reprendre cette histoire. J’ai en premier étoffé le champ lexical. Le monstre de son histoire est le Graouly. C’est bien, mais je voulais couper cette dimension régionale pour ancrer plus l’histoire dans de la fantaisie classique donc c’est un dragon (et tous ces synonymes pour lui donner du relief et éviter trop de répétitions). Il sert aussi à minimiser ou intensifier la bête. Quand le dragon devient monstre, ça craint. Quand il est lézard, c’est peut-être que le héros face à lui est imposant.
La distribution des personnages n’était pas non plus appropriée. On en découvrait certains à la fin. J’ai préféré tous les faire arriver en même temps dans l’histoire. J’ai corrigé une anomalie temporelle. Il n’y avait rien entre « la nuit finissante » et « le soleil timide de l’aube », à deux phrases d’écart.
J’ai aussi « guerrierisé » les chevaliers-dragons qui tendaient trop vers le chevalier-végan-animaliste-pacifiste. Trop 2022 et pas assez médiéval.
Pour finir, j’ai gommé certains clichés : « Juliana dont l’armure ne recouvrait que les épaules » est exactement tirée de l’imagerie qu’on peut observer sur les posters de high fantasy, farfelue (et sans doute un peu fétichiste) sur lesquels les femmes portent de minuscules écuelles de métal étincelantes pour soutenir de lourdes poitrines. Voir 95 % des couvertures du magazine « Heavy Metal » (pas celui sur la musique). Je voulais mieux que ce style un peu dépassé qui fonctionnait parfaitement au début du siècle quand R.E. Howard a créé Conan le cimérien. Parmi tout cela, j’ai conservé une chose importante dans ce genre de texte court : la chute, inattendue et surprenante pour ce type d’histoire qui rapproche autant le texte de la tragédie grecque, dans laquelle l’amour ne triomphe pas, que de la fantaisie. On est aussi proche du girl-power post metoo donc dans l’air du temps.

Maintenant, vous savez tout sur la chevauchée des amazones.Si l’envie vous prend d’écrire, n’hésitez pas à commencer par réécrire ce qui vous plait presque, mais pas complètement. Faites en une version à votre sauce. Dites-vous que la seule différence entre un plagiat et un hommage est la réputation de celui qui s’y colle.

image de Lothar Dieterich sur pixabay