Panique dans le train 511 / 1190 mots

Jérémy et Carole sont assis côte à côte sur un muret en pierre délimitant un bac à sable. Ils sont entourés par un canard et un lion en bois aux dos plats, montés sur ressorts pour se basculer et une grande pyramide de câbles assemblés pour escalader dedans. Derrière eux, il y a une maison bizarre avec une échelle de cordes pour monter, un toboggan pour descendre et une cabine de pilotage avec un volant en dessous ; le tout avec la forme générale d’une locomotive multicolore. Jérémy joue souvent avec Carole. Elle est triste aujourd’hui parce que c’était son anniversaire hier et que son papa a dû repartir presque tout de suite après pour monter dans un avion. Il travaille très loin et doit toujours partir de la maison. Quand il rentre, il lui offre souvent des cadeaux. Pour son anniversaire, il lui a trouvé la poupée qu’elle voulait depuis longtemps. Celle qui ne fait pas que pleurer, mais dit aussi plein de choses. Jérémy s’en fiche un peu de la poupée, mais Carole à l’air d’y tenir beaucoup alors ça doit être important. C’est Joséphine, la poupée. Elle a un nom. Ça compte d’avoir un nom.

À l’autre bout du square, Éva joue avec d’autres enfants. Comme d’habitude, c’est elle qui dit comment il faut jouer et les autres ne discutent pas. C’est toujours comme ça avec Éva, mais elle est très jolie. Jérémy a bien remarqué qu’elle regardait souvent dans sa direction. Il ne sait pas trop pourquoi ; il y a déjà la moitié des enfants qui jouent avec elle. Les filles c’est compliqué parce que ça ne joue ni aux voitures ni à la bagarre. Il n’est pas très à l’aise pour jouer avec Carole, mais il aime bien rester avec elle. Il ne sait pas trop pourquoi.
Aujourd’hui, il doit prendre le thé dans des mini tasses et parler avec une poupée. Comme ça fait plaisir à Carole, alors ça lui va. Carole dit qu’elle voudra trois enfants plus tard et que son mari gagnera beaucoup d’argent, mais qu’il travaillera à la maison. Pour Jérémy, c’est des bêtises tout ça, on peut jamais savoir. Ses parents ont divorcé et il a une demi-sœur et un demi-frère, alors ça ne veut vraiment rien dire quand on est petit.

La maman de Carole l’appelle. Elle se lève et quitte le goûter organisé pour les poupées en disant qu’elle revient tout de suite et Jérémy reste planté là. Éva regarde encore dans sa direction et il décide de rejoindre son groupe. Ils sont dans la locomotive et le train va dérailler, alors tout le monde s’agite dans tous les sens, sauf Éva qui est assise dans le train et qui crie aux autres de le réparer. Elle a l’air vraiment terrifiée, alors Jérémy s’assoit à côté d’elle pour la rassurer.
— C’est terrible, on va tous mourir, et je n’aurais plus jamais l’occasion de revoir mes enfants ni de les couvrir de cadeaux, gémit-elle.
— Mouais, c’est sûr, réplique Jérémy qui ne savait pas trop quoi dire dans cette situation.

Panique dans le train

Peut-on écrire une nouvelle pour les enfants avec un thème et des enjeux dramatiques ?
Walt Disney a fait couler beaucoup d’encre, mais tout le monde se rappelle la mort de la mère de Bambi. Dans Rox et Rouky, les deux amis d’enfance deviennent ennemis en grandissant parce que leurs conditions les ont éloignés et que la pression sociale leur impose de suivre leur nature. Ce sont pourtant des films pour enfants. On est loin des petites fées gentilles.
Je me suis frotté à cet exercice avec un peu d’appréhension et j’espère ne pas m’être trop vautré.
Tout d’abord, il fallait trouver un thème plutôt adulte sans pour autant être complètement étranger aux enfants. J’ai choisi, la manipulation et le mensonge. Je ne sais pas si cela fait partie de votre expérience, mais très jeune, on a des scènes du genre ; « gnagna tu sais pas, c’est machin qui m’a dit que machine puait des pieds, je te le dis, mais surtout tu ne le répètes pas » et bien sûr ce genre de paroles, même à la maternelle, sont parfaitement maîtrisées pour semer la discorde. Si si, je vous assure. Nul besoin de fréquenter des démons pour cela.
Ensuite, j’ai écarté la scène de la cour de récrée pour lui trouver un cadre plus libre et moins sous contrainte : le jardin d’enfants.
Pour finir, il me fallait des personnages. L’un possède quelque chose que le deuxième convoite. Pour l’obtenir, il utilise un tiers en le manipulant. Bon dans ce genre de cas, le manipulateur sera une manipulatrice. Ça colle mieux avec l’habitude des filles de tout aborder de travers, a contrario des approches frontales plus masculines.
Rho hé ho, ça va, hein. Offusquez-vous tant que vous voulez, mais tout le monde sait, par exemple, qu’un homme tue avec une arme, alors que la femme va choisir le poison, en douce. C’est une illustration de mon propos, et c’est un fait qui n’est plus à démontrer.
À ce stade, j’ai des enfants qui jouent au square. L’une prend à l’autre son jouet préféré (attachement particulier pour ce jouet qui a une importance et doit accentuer l’affectif). Le garçon qui joue avec la seconde, voit la scène, mais dit à la deuxième qu’elle se trompe et que le jouet ne lui appartient pas puisque son amie l’a depuis le début. Il doit être pris en otage et ne peut pas nier sans se désavouer. Il est dans une situation où aucun choix n’est bon. La voleuse peut jouer sur la corde sensible avec le garçon pour le mettre de son côté.
Voilà, le principal, il n’y a plus qu’à combler les vides.