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Bertrand n’était pas le bon. Au revoir, Bertrand.
Le temps passait et il n’avait toujours pas trouvé la personne qui convenait. C’était au tour de Stéphane. Celui-là était prometteur. Il l’avait découvert sur un forum mi-complotiste, mi-ésotérique à tendance septique, et l’avait contacté en privé. Ils avaient échangé sur des sujets banals puis il lui avait parlé d’un service à lui rendre qui pourrait déboucher sur un travail rémunéré de longue durée sans que cela nécessite une activité insurmontable. Bien sûr, Stéphane avait mordu à l’hameçon de l’argent facile. Ils avaient ensuite pris contact par téléphone. La nouvelle recrue voulait en apprendre davantage sur cette proposition inhabituelle. Il lui avait répondu que c’était très simple sans pour autant être à la portée de tout le monde et qu’il avait toutes les qualités requises. Qualités qui étaient principalement humaines et psychologiques. Il suivait Stéphane depuis plusieurs semaines. Le plus difficile avait été de trouver son nom puis il avait eu son adresse et avait commencé une surveillance étroite. Au téléphone, il avait écarté les suppositions hasardeuses de Stéphane concernant des essais biologiques, du sadisme et d’autres, plus illégales, comme convoyer de la drogue, et l’avait rassuré. Il avait promis que sa proposition ne le pousserait pas dans l’illégalité ni dans le vice. Stéphane avait fini par donner son accord de principe. Ensuite, l’homme lui avait donné rendez-vous chez lui pour un entretien qui serait la phase finale du recrutement.

Stéphane se trouve au bas d’un vieil immeuble parisien à la façade noircie. Lorsqu’il compose le code de l’interphone, une voix lui indique l’appartement de gauche au quatrième étage. La porte de bois antique du rez de chaussée ouvre sur un escalier grinçant aux marches polies et creusées par les nombreux allers-retours. A partir du troisième étage, les marches ne sont plus cirées. Certains barreaux manquent à la rembarde mal fixée. Au quatrième et dernier étage, Stéphane s’oriente vers la porte entre-ouverte. Derrière, un homme tassé sur lui-même dont la gravité a anormalement tiré et flétri la peau, l’enjoint à entrer. « Bonjour, entrez et installez-vous, je vous prie. Nous avons à discuter. » Stéphane passe le seuil et se retrouve dans une chambre de bonne, sombre et surchargée de vieilleries. Les vitres sont tapissées de papier journal. L’air sent le renfermé et la poussière. L’homme pose une main sur l’épaule de Stéphane pour l’inciter à entrer jusqu’à un bureau en contre-plaqué de mauvaise qualité et parsemé de documents en désordre. Stéphane s’assoit d’un côté et son hôte prend place face à lui dans un soupir.
— Bonjour, est-ce que vous m’autorisez à enregistrer notre conversation ?
— Je ne préférerais pas. On ne sait jamais. Si elle se retrouve entre de mauvaises mains, ce pourrait être fâcheux. Vous n’avez qu’à écouter ce que j’ai à vous dire jusqu’à la fin pour vous faire une idée. Pardonnez-moi si mes mains tremblent. J’avoue avoir eu peur de vous partager et de me replonger dans ce moment de découverte incroyable, inattendue et malheureusement inoubliable, ainsi que dans la longue descente qui a mené à ce savoir infernal.

Passage de témoin

Mon idée de départ est d’imaginer un gardien en bout de course (en fin de vie) qui doit trouver un repreneur. Pour que ce soit intense, il fallait que l’objet et l’enjeu soient vraiment importants. Il fallait qu’en aucun cas cette mission du gardien ne meure avec lui. Cela devait être vital pour l’humanité. Lui-même n’a pas choisi ce rôle pour lequel il a sacrifié sa vie et qui l’a rongé petit à petit.
Voici donc les lignes directrices de sa vie :
Ce gardien a joué avec des puissances qu’il ne maîtrisait pas et a obtenu un succès au-delà de toute attente.
Il est piégé par ce qu’il a convoqué et qu’il ne peut pas contrôler.
Il réussit à interrompre le rituel.
La créature attend son heure. Il doit veiller à ce que personne ne la découvre et achève l’invocation.
Mais la nouvelle ne raconte pas son expérience. Elle doit être à peine suggérée ou éventuellement évoquée dans ses souvenirs en flash-back de ses pensées.
L’histoire est centrée sur la phase de recrutement de la relève pour ce vieux gardien au bout du rouleau. Principalement sous forme de dialogue cette fois puisqu’on n’aura que deux personnages (encore une fois imposé par le format court du texte ; les acolytes du gardien sont mentionnés quand il repense à son passé).
La recrue est invitée (trouver un prétexte) et découvre au fur et à mesure ce qu’on attend de lui. Il passe de l’étonnement à la consternation et au refus. Le gardien insiste. La fin doit être forte et brutale.