Arracher les ailes des mouches, Olivier Monceyron - 4e

PAZUZU 516 / 1090 mots

Je suis assis au sol, dos à un lourd fauteuil de velours rouge, les genoux repliés contre ma poitrine dans une pièce qui semble être un salon assez sobre. Il fait nuit, toutes les lumières sont éteintes et la lune est ronde à l’extérieur. Je distingue sur ma droite un homme dans la cinquantaine avec de petites lunettes en acier, au-dessus d’une moustache en brosse à dents, l’air hagard, recroquevillé contre un mur, entre deux hautes fenêtres. Il a un revolver dans une main et un énorme livre dans l’autre. Entre nous, au sol, est tracé un pentacle avec une encre sombre, épaisse et humide. Tout autour sont dessinées des runes étranges. Je ressens avec une certaine répulsion le poids et la froideur d’un objet que je serre contre moi. Un fusil Lebel.
Comment avons-nous pu en arriver là ? Je me souviens. Nous nous fréquentions à l’académie des sciences hermétiques. Vingt-huit jours plus tôt, je l’avais assisté dans le rituel et la créature était apparue. Sans doute qu’aucun de nous n’y croyait réellement avant que cela se produise. Ce doit être pour cela que tout le reste est allé de travers. Il n’avait pas réussi à la contrôler comme promis et nous voilà, une pleine lune plus tard pour réparer notre erreur.
À ma gauche, un homme grand et solide pousse un buffet à vaisselle contre la porte d’entrée. Il transpire et sa bouche gesticule dans tous les sens pendant que des assiettes sortent du meuble et se brisent au sol. Je distingue des sons, très loin, sans comprendre les mots, alors que le gaillard a tout l’air de s’égosiller en me regardant. Une voix aiguë attire mon attention. En face de moi, une jeune femme chapeautée comme un dimanche surgit d’un coin d’ombre du salon en désordre, d’un immeuble parisien cossu. Une mitraillette MP18 en bandoulière, elle redresse un lit contre une des deux fenêtres de la pièce. Une trousse de médecin en cuir repose contre le mur à côté d’elle. Le type à lunettes assis entre les deux fenêtres qui descendent jusqu’au sol n’a pas bougé, comme si son esprit avait déjà quitté son corps.
Sous mes yeux qui ont cessé de cligner se déroule une scène surréaliste et le déménageur m’incite à y prendre part. Il m’ordonne d’un ton directif de charger mon arme et sort lui-même deux cartouches de chasse de la poche de sa veste, bascule les canons sciés de son calibre douze et les charge. De l’autre côté de la pièce, la jeune femme accroupie vérifie le revolver de son voisin et le motive sans ménagement. Comme si mon esprit préfère s’éloigner de ce chaos, je m’attarde à distinguer chaque intonation de son fort accent américain.
Le type balaise à côté de moi a maintenant l’air complètement hystérique, presque en transe. Sa bouche se désarticule et les muscles de son cou se tendent, prêts à se déchirer : la situation a réveillé quelque chose en lui qui fait appel à de vieux réflexes. Un « quelque chose » qui n’est sans doute pas le plus beau de sa personne.

Analyse de texte : PAZUZU

Informations commerciales

Cette nouvelle de 1090 mots fait partie du recueil « arracher les ailes des mouches » disponible sur Amazon
Dépôt légal avril 2023

Résumé de la nouvelle « Pazuzu »

Un homme reprend ses esprits sans trop savoir où il est ni ce qu’il fait là. Il se rend compte très vite qu’il est retranché en compagnie d’un groupe de personnes. Ils subissent les assauts d’une créature. Petit à petit, ses souvenirs lui reviennent.

L’intention du texte

Avec cette nouvelle, je voulais que tout tienne dans une seule scène dans une action. Elle devait respecter au maximum la structure d’une nouvelle avec un début, la scène d’action et une chute. Elle devait si possible insérer assez de contexte pour que le lecteur comprenne dans quoi les personnages étaient plongés et pourquoi.

Une fois que l’idée initiale était toute trouvée et j’ai fait d’une pierre deux coups. La scène en question est une scène d’un de mes prochains romans. Celui-ci est à l’état de séquencier depuis des mois. J’ai tout, il n’y a plus qu’à. Sauf qu’entre temps, je me suis rendu compte que je préférais vraiment les nouvelles… Donc il attend bien sagement, on y reviendra en temps voulu.

Les recherches

Il y en a eu très peu. J’ai fait quelques recherches sur les armes de l’époque qui m’intéressait. C’est la seule chose qui permet de situer l’action dans le temps avec une ou deux remarques d’un personnage.
J’ai aussi fait une petite recherche sur l’état des rues à cette époque pour y glisser une petite anecdote. Ça ne coute pas cher et ça donne du crédit à l’ensemble.
C’est à peu près tout. Le reste est issu de l’histoire qui sera développée dans le roman.

Processus de création de la nouvelle

Le scénario

On débute dans l’action. Il n’y a donc pas de début. Les personnages sont attaqués, retranchés, barricadés et assaillis. Comme je l’ai déjà dit, tout se concentre sur une seule scène. Il faut être efficace.

La difficulté était d’insérer les éléments de contexte. C’est pour cela que j’ai choisi un personnage qui émerge d’une sorte de perte de connaissance passagère (due à un choc post-traumatique). Ses souvenirs reviennent pendant le déroulement de l’attaque. Ils ont accompli un rituel de convocation. Les créatures appelées se retournent contre eux. Ils sont piégés dans une pièce et doivent les « tuer », faute de savoir les renvoyer dans leur monde. Je ne suis pas sûr que ce point est bien clair dans la nouvelle…

Le danger approche. L’enjeu doit paraître important, vital, voire décisif pour le monde. Un des personnages meurt vite pour indiquer que le danger est immense et mortel. Les autres se battent pour leurs vies. « Je » a peur. Il préfère la fuite.

Les personnages

Il y en a quatre, mais un seul est au centre de l’histoire avec une narration à la première personne. Les rôlistes trouveront peut-être que ce groupe ressemble étrangement à un panel représentatif d’investigateurs. Et pour cause. L’autre personnage, qui n’est pas des moindres, est une créature que j’ai essayé de rendre hideuse, effrayante et tout droit sortie d’un cauchemar.

Les lieux

Il n’y en a qu’un. C’est un besoin dans ce genre de texte. Il faut le restreindre au maximum. Ici, une seule pièce d’un appartement plongée dans la pénombre, on se fout des détails. On ne distrait pas le lecteur de l’action.

Les points de vue dans la narration

J’ai tenté la narration à la 3e personne et je trouvais que cela faisait perdre de l’intensité. Ensuite, j’ai essayé la narration à la première personne et j’ai remarqué à quel point cela enferme le récit dans un seul axe de compréhension. Cela peut être pratique pour occulter une partie du récit et maintenir le personnage dans un certain flou. Cela marche si le lecteur a suffisamment d’informations pour comprendre dans quoi le narrateur est plongé.

Pour cela, une 3e option est possible : alterner la narration avec des passages ou des chapitres avec un point de vue distancié qui permet de faire passer un niveau d’informations supérieur au lecteur. Ainsi il en sait plus que le narrateur à la première personne. Il peut trembler pour lui, faire travailler son imagination, et anticiper des situations.
Naturellement, je ne parle que pour la fiction. J’exclus tout ce qui s’apparente aux essais et récits de vie.

Note sur le titre

Les plus avertis d’entre vous l’auront peut-être remarqué. Le nom de la nouvelle n’est pas seulement un mot compte triple au scrabble.
Pazuzu est le nom de la divinité mésopotamienne qui hante Régan dans « l’exorciste ». Au départ, c’était un nom provisoire. Je ne pensais pas le garder. Je trouvais qu’il informait trop sur le contenu de la nouvelle et qu’il gâchait un peu le suspense. Finalement, j’ai conservé le clin d’œil au film, pour les vrais qui savent.

Mes notes pour la rédaction

Pour finir, voici mes notes qui ont servi lors de la rédaction dans le même état que dans mon fichier de travail.

À la semaine prochaine pour une nouvelle analyse de texte.

Un groupe de personnes, des « initiés » combattent « le mal ». Ultra-classique
Commencer dans l’action
La situation est désespérée

1 personnage principal + 3 pour lui donner le change

Miser sur l’intensité en continu
Pas trop de descriptions -> limiter l’environnement extérieur = scène en intérieur, un vieil immeuble

Du mystère -> inclure des éléments qui orientent le lecteur sur les conditions de la mise en situation « rituel d’invocation » => « le mal » est une créature invoquée. Incontrôlable ??
Montrer tous les ingrédients d’une séance, pentacle, bougie, runes, sang.
Ils savent qu’ils sont perdus, ne se battent pas pour leur vie, mais pour un enjeu plus global. Sauver les autres ? Réparer une erreur ?

Écrire à la 1re personne pour plus d’immersion => les descriptions sont à travers ses yeux.

Un personnage est tué au départ pour afficher la violence du cadre. Un vieux dirige le rituel, pas combattant = la victime ?? À quoi sert-il ??
Reste 1 femme, 1 homme interactions + le narrateur.

Quelle fin ?
Ils meurent ?
Ils détruisent le mal, mais ils ont perdu quelque chose d’important, l’innocence, la naïveté confortable, une part d’humanité ? Trop long !
Happy end ????? ;o))
Pas de fin ? On ne sait pas si la créature les tue ?
Pas d’histoire sans « je ». Il meurt avant le dénouement et l’histoire s’arrête sans que l’on connaisse la fin puisqu’il est la fin.

La créature : byakhee longue, décharnée, longs membres, bipède, des ailes, griffes, odeur d’outre-tombe, muscles tendus, luisante et suintante, plus grande et plus forte qu’un homme.

Penser à tous les sens, montrer la panique et la peur.

* La femme, médecin, mais familière des armes, américaine, jeune, venue en France servir sur le front puis restée dans le pays. Veut dédier sa carrière à soigner les syndromes post-traumatiques des gueules cassées de retour. Elle suit le vieux pour se rapprocher des expériences psychologiques. En retenir un enseignement à appliquer à ses malades ? L’hypnose se développe.

* L’homme, puissant (rigide) allemand militaire, repenti, resté en France. Pense avoir à se racheter, sacrifice. Caricature ??? Ancien officier qui prend conscience de l’absurdité de son idéal. Déjà sensibilisé à l’occultisme par la propagande de guerre. Il cherche peut-être des réponses ?

* Le vieux qui meurt, sûrement l’érudit du groupe qui les a entraînés là. Occultiste qui a déjà trop versé dans les expériences douteuses et va faire une expérience de trop. Assez charismatique pour avoir tenté puis entraîner les 3 autres.

* « Je » ne se présente pas. Pas très courageux. Il découvre les autres et le lieu au fur et à mesure. Puis découvre l’élément perturbateur, la créature attaque, les personnages révèlent leurs caractères.