nouvelles noires pour nuits blanches - olivier monceyron - dos1

Respire ! 507 / 837 mots

HHHHHHH hhhhhhhhhe…

Où suis-je ? Ai-je vraiment respiré ? De l’air ?
Pourquoi fait-il si noir ? Et pourquoi ai-je si froid ?

Ça tourne, autour de moi. Je serre mes paupières pour aider à me concentrer sur le vide qui m’entoure. C’est inutile, je crois, je sais, que mon corps est immobile, mais c’est un réflexe ; et ça s’arrête.

Là, je bouge. Alors, pourquoi je ne ressens rien ? C’est comme si j’étais suspendue dans le néant sans avoir conscience de mon propre corps. Je dois rêver.

Des lumières saccadées et de toutes les couleurs s’impriment violemment à l’intérieur de mes paupières closes, puis cessent brutalement. L’instant d’après, les ténèbres sont percées par deux points, jaune clair ; pâles au début, puis très brillants. Ils approchent très vite, grossissent, m’aveuglent. Je crois que je tourne la tête pour les éviter. Ils sont face à moi et explosent dans mes rétines. Tout se remet à tournoyer. Mon esprit est secoué dans tous les sens.

Mes sens ? Je n’entends rien, dans ce chaos éblouissant et silencieux. La seule odeur, ténue, que je peux décrypter, provient certainement d’un détergeant récemment utilisé qui masque tout le reste. Je me raccroche à elle, la première sensation familière. Je suis vivant. Il y a aussi ce froid qui m’enveloppe. J’ai l’impression d’être paralysé. Et puis ce souffle. Je ne l’ai pas remarqué tout de suite. On dirait qu’il me revient dans la figure à chaque expiration ; comme si une personne respirait en miroir en face de moi.

À nouveau, mon cerveau s’ébranle. Les lumières réapparaissent, intenses. Un vertige me prend à la gorge et me donne la nausée. Je sers le volant. Quel volant ? Pourtant, je sens l’arceau contre les paumes de mes mains crispées. C’est impossible. Incompréhensible. Encore une fois, les deux points jaune pâle surgissent au fond de l’obscurité et s’approchent très vite. Je me prépare. Une contraction involontaire. Un bruit assourdissant tend tous les muscles de mon corps, je crois, puis tout se remet à bouger dans un vacarme infernal. Je réussis à ouvrir un œil pour voir la route glisser sous le toit de la voiture. Le volant m’a enfoncé la cage thoracique, profondément. La douleur est insupportable, tout s’éteint.

Je n’ai plus mal. En fait, je ne ressens rien, mais je me rappelle maintenant. Il y avait une voiture en face. Je n’ai pas pu l’éviter. Alors ? Suis-je mort ? Suis-je là pour réfléchir aux conséquences de mes actes, avant que quelqu’un décide si je vais monter ou descendre ? Ça ne peut pas se passer comme ça. Il devrait y avoir des gens avec des robes blanches qui respirent la sérénité autour de moi, ou peut-être un personnage parfaitement divin brandissant une balance viendra peser mon cœur ? Ils ne peuvent pas me laisser comme ça.

J’attends. J’ai toujours aussi froid. Une peur panique s’empare de moi, incontrôlable. Quelque chose ne tourne pas rond. Je ne suis pas mort. Alors quoi ? Si je vis, comment en être sûr ? J’appelle.

Respire !

Informations commerciales

Nouvelles dramatique de 837 mots issue du recueil « Nouvelles Noires pour Nuits Blanches » disponible sur amazon.
Dépôt légal novembre 2022

Résumé

Pas facile de résumer cette très courte nouvelle. Le mieux puisque vous êtes arrivé jusqu’ici est de lire le début dans la colonne défilante.

L’intention du texte

A travers cette nouvelle, je voulais travailler la perception à travers les différents sens. Il peut arriver que lors de descriptions, on se focalise sur la vue. C’est le plus simple pour décrire un endroit, une personne ou une situation et on oublie les autres. Ils sont pourtant tout aussi importants et livrent leurs lots d’informations toutes aussi descriptives.

Le processus de création de la nouvelle

L’inspiration

On dit souvent que la réalité depasse la fiction. Quand on écrit, on hésite souvent à pousser le bouchon trop loin, mais quand on lit les faits divers, on s’aperçoit qu’on est loin du compte. Mon idée de départ était de chercher une inspiration dans un fait de ces faits divers qui sont une très bonne source d’inspiration.

L’histoire vraie qui m’a inspiré est c’est celle d’une femme sud-africaine transportée à la morgue par erreur et retrouvée vivante par un employé. Celui-ci venait vérifier le corps, dans le réfrigérateur de la morgue de Carletonville, près de Johannesburg le 02 juillet 2018. Une femme y avait été amenée après avoir été déclarée morte par des ambulanciers à la suite d’un accident de la route.

La compagnie d’ambulance Distress Alert a déclaré qu’elle n’avait montré « aucun signe de vie », rapporte le site d’information sud-africain TimesLive, cité par la BBC. La femme, dont l’identité n’a pas été révélée, a été soignée à l’hôpital. L’histoire ne dit pas si elle a subi des troubles psychologiques.
Une enquête sur l’incident était en cours quand j’ai écrit la première version de ce texte. Le responsable de la compagnie d’ambulances avait déclaré qu’il n’y avait « aucune preuve de négligence » de la part de son entreprise. « La cause de cet incident n’est pas liée à un défaut de formation de nos ambulanciers », a-t-il assuré.

Il insinue donc sans aucun doute que la femme était bien morte et a ressuscité à la morgue.

L’écriture

Pendant l’écriture, j’avais des images du film « Johnny got his gun » ou « Johnny s’en va en guerre » qui me revenait. J’espère avoir pu retransmettre une petite fraction de l’oppression qu’on ressent devant cet homme enfermé dans son corps.
Entre parenthèses, c’est le film qui a servi pour « one », le premier clip de Metallica.

C’est une nouvelle instant. Elle ne comprend donc qu’une seule scène. J’ai même réduit le nombre de personnages à un seul, mis à part le deuxième qui intervient dans les dernières lignes.

Conclusion

Pas évident d’écrire une nouvelle, même courte sans histoire et sans personnage. Concentrer tout le texte sur des impressions et des ressentis, sans faire de répétitions, a été un exercice intéressant qui force à élargir le champs descriptif habituel.