1984, George Orwell et le langage outil du totalitarisme
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« 1984 » est un roman d’anticipation écrit par George Orwell (Eric Blair de son vrai nom) en 1950.
Édité par Gallimard en 1950.
428 pages
Résumé
En Océania, Big Brother surveille chaque membre du parti par l’intermédiaire de la police de la pensée et de ses membres zélés. La plèbe est réduite à un esclavage servile. Pour maintenir la pression et focaliser la haine de la population. Océania est en guerre perpétuelle soit contre Estasia ou contre Eurasia. Le parti façonne la langue pour supprimer les mots négatifs et orienter la pensée. Il corrige l’histoire à sa convenance et maintient la masse dans un état de sous éducation et d’appauvrissement. Le parti maintient également l’idée de l’ennemi de l’intérieur sous la forme d’un petit groupe de révolutionnaires.
Winston est employé au service de la vérité. Il corrige des articles de journaux du passé pour les mettre en adéquation avec la vérité du présent. Il nourrit un très fort ressentiment envers Big Brother qui détruit les individualités. Il commence à transgresser en rédigeant un journal auquel il livre ses pensées.
Notes sur le texte
G. Orwell meurt en 1950. D’après ce que j’ai pu lire, il aurait écrit ce roman jusque dans ses derniers jours et n’aurait pas eu le temps d’y apporter les corrections et ajustements qu’il aurait voulus.
D’autre part, d’après l’interview d’une éditrice qui « refuserait de publier le livre dans cet état aujourd’hui », il semblerait que la traduction ne soit pas très fidèle au texte d’origine. Elle contiendrait carrément des raccourcis et quelques élagages…
Malgré cela, l’œuvre est tellement connue et reprise sous différentes formes que certains de ses éléments font partie de la culture commune comme le novlangue ou la devise « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force »
Mon avis sur « 1984 »
Et bien, je suis partagé. D’abord, c’est un monument incontestable par ses idées et sa mise en perspective de certaines dérives. Une fois que c’est dit, est-ce que c’est un bon roman ? Et bieeeeeen pas tant que ça. Disons que c’est tout de même très long. Dans la première moitié du livre, on suit Winston, qui survit en se cachant derrière le masque du bon petit soldat dévoué au parti. Vient le moment où il rencontre l’amour et où il se cache pour transgresser. Ensuite, il rencontre un partisan de la résistance qui lui donne le livre conducteur des idées de la résistance. S’ensuit un essai de 50 pages extrêmement descriptives sur le fonctionnement d’Océania en tant qu’état totalitaire et comment il soumet les prolétaires et les tient sous sa coupe sans autre but que de maintenir cet état indéfiniment.
La chute est intéressante. Par contre, si vous avez vu le film, vous serez surpris de constater que le livre ne contient pas de confrontation entre le parti et les révolutionnaires. L’intégralité du livre est consacrée à la vie de Winston. Sa captivité et les sévices qu’il subit m’ont beaucoup fait penser à la biographie de Arthur London.
« 1984 » est l’œuvre d’un visionnaire, mais cela manque un peu de forme ou de liant pour faire passer son discours. Disons que c’est un peu brut, même si c’est bien écrit. Le propos en lui-même est indigeste et terrifiant, d’autant plus que le tableau semble très fidèle à ce qui est appliqué dans certains pays. C’est toujours difficile d’être mis face à une vérité déplaisante.
L’avertissement de « 1984 » n’a jamais été autant d’actualité
Le novlangue de « 1984 »
« C’est une belle chose, la destruction des mots… quelle raison d’exister y a-t-il pour un mot qui n’est que le contraire d’un autre ? Les mots portent en eux-mêmes leur contraire. Prenez “bon” par exemple… quelle nécessité y a-t-il d’avoir un mot comme “mauvais” ? “inbon” fera tout aussi bien, mieux même, car il est l’opposé exact de “bon”, ce que n’est pas l’autre mot. Et si l’on désire un mot plus fort que “bon”, quel sens y a-t-il à avoir toute une chaîne de mots vagues et inutiles comme “excélent”, “splendide” et tout le reste ? “plusbon” englobe le sens de tous ces mots, et, si l’on veut un mot encore plus fort, il y a “doubleplusbon”.
Ne voyez-vous pas que le but du novlangue est de restreindre la pensée ? À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée, car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun par un seul mot dont le sens sera rigoureusement délimité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées… Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de plus en plus restreint. »
Je ne peux m’empêcher de voir le parallèle avec les correctifs qui ont lieu dans le français où l’on remplace depuis des années les mots négatifs par des formules pompeuses tournées de manière positive pour ne frustrer personne. Non, ce qui est mauvais est mauvais. Un point c’est tout, pas la peine de tourner autour du pot et de prétendre qu’il traduit des efforts remarquables, au bout du compte, c’est mauvais. Apprendre à se suffire de la médiocrité est une aberration et ne pousse pas à trouver son chemin.
Bref, je m’arrête là, vous avez tous des exemples en tête.
Parlons de la réécriture du passé
C’est bien de cela qu’il s’agit quand certains parlent de « corriger » des œuvres littéraires comme Agatha Christie sous prétexte de textes « comportant des allégations gênantes ». Comprenez en langage clair qu’il contient des passages complètement racistes. Je vous renvoie à cet article sur les « dix petits nègres », par exemple.
Soyons honnêtes, parlons plutôt de tentative de falsification. Oui, Agatha Christie avait des penchants racistes. Oui, Agatha Christie était un produit de son époque comme beaucoup d’autres. Oui, si la France a laissé rafler ses juifs et envoyé ses ressortissants des colonies au casse-pipe pendant deux guerres mondiales, c’est sans doute que ce genre d’opinion était partagé par un paquet de personnes.
Pourquoi aujourd’hui vouloir jouer les révisionnistes et effacer le passé ? Des œuvres doivent délivrer leur message à travers le temps, même pour un roman policier. Elles doivent rester représentatives de leur époque tout comme on n’observe pas un fait archéologique à la lumière du présent. Quoi qu’on regarde, il faut le voir dans son contexte d’origine et en profiter pour apprendre.
À qui profite ce crime ?
Permettez-moi sans regret de qualifier de crime la « falsification d’œuvres ». Encore une fois, si on se tourne vers le passé, quel genre de peuple a détruit les livres et s’est acharné à réécrire son passé pour lui trouver une origine plus flatteuse ?
Je vous laisse la réponse, je pense qu’elle saute aux yeux de tout le monde.
Pour ma part, cela m’interroge beaucoup sur ce qu’on devient, et à vrai dire cela me procure plus de peur que de joie.
Le wokisme est l’ennemi de la pensée
Avec la disparition de certains mots au profit d’une flopée d’autres qui n’ont pas de sens, c’est bien le souhait du wokisme actuel de supprimer du langage des termes explicites. Quitte à prendre une pluie d’insultes, prenons l’exemple des couleurs de peaux. Aujourd’hui, il est correct d’appeler un blanc, un blanc. Ce n’est pas raciste (les plus intransigeants utilisent « caucasien », je ne sais pas d’où ça sort…). Par contre, il est formellement interdit par une loi tacite d’appeler un noir, un noir. Tout ce qui est nonblanc est regroupé sous l’étiquette « de couleur » avec tout ce que cela a d’imprécis.
On rejoint ici le propos général de la précision du langage. Un blanc est situé en Amérique du Nord, en Russie et en Europe (au sens large). Un noir est automatiquement classé d’origine africaine ou de certaines îles. Cela ne tient aucun compte d’une nationalité ou d’une classification, c’est un fait géographique et une précision uniquement descriptive sans aucun jugement de valeur. Dans un livre, on est obligé d’en passer par les mots pour créer des images dans la tête du lecteur et je trouve qu’ils doivent être employés pour ce qu’ils représentent et non pour ce que les extrémistes de la bien-pensance croient, à tort, que l’auteur a sous-entendu, histoire d’imposer leur dictature de langage.
À cela, il est important de faire quelques distinctions. Comme on parle de précision de langage, il est important de tenir compte du fait que l’usage de certains mots les fait changer de sens et les fait passer dans le camp du péjoratif. Il faut donc rester vigilant et sélectionner avec soin son vocabulaire, mais en aucun cas, il ne faut supprimer des mots à partir du moment qu’ils déplaisent à une poignée de personnes.
Les sensitiv readers ou l’apogée de la censure woke
Le comble du comble est atteint avec la naissance des « lecteurs sensitifs » qui n’ont même pas daigné adopter une appellation française, preuve qu’ils sont réellement concernés par le langage.
Vous ne connaissez pas ce nouveau genre humain ? Je vous explique.
Imaginez que vous voudriez écrire un livre sur les chiens à poils longs et bruns. Vous faites vos recherches, vous lisez des livres sur le sujet, vous interrogez des personnes qui ont des chiens à poils longs et bruns et vous écrivez votre meilleur livre (pas LE meilleur, mais celui dans lequel vous avez tout donné). Et là, vous vous faites déglinguer, crucifier parce que vous avez osé traiter d’un sujet qui ne vous concerne pas. On vous insulte, éventuellement, on vous menace, c’est de bon ton quand on sait qu’on peut le faire en toute impunité.
Ce que vous auriez dû faire ? Et bien, confier votre livre à un lecteur sensible, spécialiste autoproclamé dans le domaine des chiens à poils longs et bruns qui vous aurait dit ce que vous aviez le droit ou non d’écrire sur le sujet avec toutes les pincettes nécessaires pour faire passer votre message sans chagriner les chiens à poil ras, quitte à le dénaturer ou lui donner un sens différent, car le lecteur sensible sait, lui, de quoi il parle. Il est garant de la bonne parole qui se propage sur son sujet d’expertise autoacquise.
Non, mais sans déconner de qui on se fout ?
Mais alors, on lit « 1984 » en 2024, ou pas ?
C’est un grand oui. Absolument. Je ne vous promets pas une lecture hyper délassante, mais ce roman n’a pas pris une ride. Au contraire, il semble avoir trouvé la recette de la vie éternelle en touchant les aspects profonds de l’humanité. Lisez « 1984 ».