dix petits nègres, Agatha Christie - 1e
3 étoiles

Dix petits nègres, Agatha Christie

Informations commerciales

Dix Petits Nègres, Roman policier
Publié chez Le livre de poche
Dépôt légal 1939
223 pages

Je me suis dit qu’il fallait absolument lire Agatha Christie.
Pour me rattraper, car je l’ai esquivée jusqu’à maintenant ?
Pas tout à fait.
Parce que c’est « obligatoire » quand on sait lire ?
Non.

Surtout pour son époque et pour avoir une vision de l’écriture de son temps ainsi que récolter l’ambiance, les statuts de cette période et m’y plonger pour mieux la connaitre (l’époque pas Agatha). En fait, je n’étais pas sûr d’apprécier le contenu de ses livres. Quitte à commencer, autant partir sur celui qui a fait couler beaucoup d’encre dans la sphère woke bien pensante et la cancel culture : j’appelle les « Dix petits nègres ».

Ce type de polar est appelé « wodonit » pour « who has done it » parce qu’évidemment en anglais ça fait toujours plus classe. Ce n’est pas du tout mon domaine de prédilection.

Résumé

Dix personnes, qui ne se connaissent pas, reçoivent une invitation pour se rendre sur une île privée, pour une fête. Lorsqu’ils arrivent, ils constatent que leur hôte a été retenu et ne pourra être présent pour le moment. Deux serviteurs s’occupent des invités qui commencent à mourir l’un après l’autre.
Comme ils sont seuls sur cette petite île, ils en déduisent que l’assassin est un des invités et la paranoïa s’installe. Pour ne rien arranger (et pour verrouiller la situation), une terrible tempête empêche le bateau, qui les a amenés, de revenir les chercher.

Mon avis sur « Dix petits nègres »

Le livre est court (comparé aux pavés que les auteurs d’aujourd’hui se sentent obligés de pondre) et très efficace. Un aspect qui m’a beaucoup fait sourire est le rapport à guignol, pour les moins jeunes qui liraient ce billet. J’entends par là, les scènes où on voit guignol demander au public « il est est où le méchant ? » alors qu’il est juste derrière lui et que les enfants assis en tailleur essaient de le prévenir en criant « il est derrière ! Il est derrière ! ». Guignol ajoute « je vais le chercher à la cave, là où il fait noir » et le public crie « non, pas dans la cave ! Va pas dans la cave, il va t’avoir ! ».
C’est exactement ce que l’on vit en lisant « Dix petits nègres ». La différence est qu’on ne connait pas l’assassin avant la fin. Bien sûr, on peut faire des hypothèses. C’est le jeu dans ce genre de livre.

Le dénouement arrive à la fin avec une pirouette sous forme d’épilogue. Le dernier chapitre est focalisé sur le dialogue entre les deux policiers, totalement inconnus jusqu’ici, qui résolvent l’enquête. On y apprend en quelques pages comment l’assassin s’y est pris pour éliminer tous les participants. Le mobile est intéressant, mais la résolution de son plan, un peu tirée par les cheveux.

La polémique woke

Ouais ouais ouais… hé ben… quand je lis la 5e page, je me demande si les tocards qui donnent des leçons pour faire renommer ce classique de la littérature sont allés plus loin que la couverture. Je vous livre un extrait :

« l’île du nègre. Il se rappelait y avoir été dans son enfance. Une sorte de rocher nauséabond hanté par les mouettes, à quinze cents mètres environ de la côte. Cette île devait son nom à sa ressemblance à une tête d’homme… aux lèvres négroïdes »

Toujours la description de l’île après quelques pages de plus :

« On apercevait seulement une énorme silhouette rocheuse ressemblant vaguement à un profil de nègre. »

Un peu plus loin :

« Il avait deviné que le petit juif n’avait pas été dupe ; l’ennui avec les juifs, c’est précisément notre impuissance à les tromper sur les questions d’argent… ils semblent lire en nous. »

Et encore :

« Papa s’est remarié à Madagascar avec une dame noire, qui porte un nom à neuf syllabes. Papa ne revient jamais, il fait des enfants à grosses lèvres, en surveillant je ne sais quelle exploitation de raphia (bougnoulisé, le papa, si je comprends bien). »

Et avec tout ça, il n’y a aucune personne de couleur dans cette histoire. Si la censure gagnait et décidait de modifier tous les textes offensants pour quiconque, le propos et l’histoire de celui-ci n’en seraient pas du tout dénaturés. Ce qui rend ce racisme ordinaire et ces écarts sur les noirs encore plus étonnants.

Oui, mais dans ce cas, que resterait-il de l’Histoire ? Réécrire l’Histoire en fonction de son inspiration du moment est le propre des dictatures. Effacer son passé, le nier pour mieux le réécrire n’est jamais une bonne idée. Il me paraît important de préserver ces témoignages d’une époque. Il n’est pas pour autant nécessaire de les prendre en exemple, mais au moins de savoir ce qu’ils ont à nous dire. Accessoirement, cela permet en se retournant sur ce passé de voir le chemin parcouru. Cela ferait prendre conscience aux révisionnistes que les choses bougent. Même si cela ne va pas assez vite ou assez loin à leur goût.

Je ne me suis pas penché sur la biographie d’Agatha Christie ni ces penchants politiques. Il faudrait que je le fasse à l’occasion pour voir si ces répétitions sont uniquement liées à une tendance contextuelle de son époque ou une inclination personnelle.
Bref, le sujet n’est pas sur le racisme ou le fait qu’on doive interdire ou non ces textes qui font tache aujourd’hui, alors revenons à cette histoire.

Que retenir de « Dix petits nègres »

Le lecteur est uniquement spectateur des événements et non participant actif. À aucun moment il n’a d’indices ou de clés pour essayer de démasquer l’assassin. Il n’y a pas cet effet ou à la fin, vous reconstruisez dans votre tête tous les indices qui ont été semés tout au long du livre et qui s’emboitent comme par magie.
Au final, ça se lit bien. On passe un bon moment. Et on passe aussi vite à autre chose.