

Quand on veut transposer toutes les descriptions du JDR au roman
Informations commerciales
Gagner la guerre est un roman de fantaisie qui s’étire sur 969 pages
Écrit par Jean-Philippe Jaworski
Édité chez Gallimard et publié chez folio SF
Dépôt légal février 2015
Les caractéristiques physiques du livre
D’habitude, les livres de poche ont un caractère pratique. On peut les emmener et les lire facilement. Et bien pas celui-là. Ce livre pèse 523 grammes. Franchement, avoir ce poids au bout de la main pendant une heure ou deux est vraiment pénible sans compter qu’il ne se tient pas avec sa couverture molle et ses pages en papier à cigarette. Il mesure également 4,3 cm d’épaisseur nécessitant un écartement des doigts pénible si l’on veut éviter de le voir se détériorer trop vite.
Franchement, ce livre avait tout pour ne pas me plaire avant de tourner la première page.
Résumé de gagner la guerre
Benenuto Gesufal est sur un navire. Il subit une bataille navale et en profite pour assassiner un noble. Il est envoyé chez ses ennemis pour négocier la fin de la guerre selon les termes proposés par son employeur. Il est capturé, torturé et battu presque à mort. Ses ravisseurs perdent la guerre. Son employeur paie sa rançon et le récupère pour le soigner. Une campagne de désinformation le fait passer pour le héros qui a tout fait pour sauver celui qu’il a tué.
À son retour, il n’est pas dans son assiette, alors il va aux putes. Il déclenche une bagarre et fracasse trois types. On l’oblige à s’excuser. Il est énervé, alors il sodomise la fille de son patron pour respecter sa virginité.
Son patron va voir un vieil ami et lui expose son plan pour devenir maitre de la république.
Ensuite par un revirement de situation (p465), Gesufal est finalement accusé d’assassinat devant tout le sénat. Son patron le sacrifie pour ne pas être mis en cause. Il doit fuir la ville.
À ce moment, on vient de dépasser la moitié du livre. La suite ? Je ne peux rien vous en dire, j’ai jeté l’éponge. J’ai lu les 15 dernières pages et j’y ai trouvé la fin qui était professée 400 pages plus tôt avec les mêmes personnages. Aucun intérêt.
Mon analyse de ce roman-fleuve
Qu’est-ce que je me suis ennuyé…
On me l’a collé dans les mains en me disant « tu dois le lire, c’est génial ». J’ai répondu « non merci, presque mille pages, je sais déjà ce que ça va donner. C’est bourré de longueurs et au deuxième chapitre, je vais avoir envie de le refermer ».
Et bien voilà ça n’a pas raté. Jaworski est directement allé dans mon classement des auteurs payés au poids. Qu’est-ce que c’est barbant mon dieu… Et je ne parle pas du vocabulaire volontairement pompeux utilisé à longueur de pages avec celui de son univers propre imprégné d’italien. Pour finir de vous enfoncer, il se permet 8 pages de dialogue entre deux voleurs qui échangent en argot dont vous ne comprenez pas un mot. Où est l’intérêt ? Autant faire tout un livre en lorem ipsum. Quel calvaire.
Ensuite, il y a la kyrielle de noms, tous composés d’au moins quatre syllabes sont impossibles à retenir. Les noms des familles qui reviennent régulièrement passent encore, mais les prénoms de chaque membre, non, vraiment pas.
On nous fait miroiter des intrigues insoutenables alors qu’en fait on ne connait que des petits coups bas de coupe-jarrets jusqu’au milieu du livre où un protagoniste vous dévoile son plan pour devenir dictateur.
Bon, passons tout de même aux vrais arguments pour vous partager mon ressenti.
Les métaphores et les descriptions
À la page 20, il doit déjà y avoir au moins 10 occurrences du mot « comme » suivi d’une bardée de métaphores. Alors, une de temps en temps, je n’ai rien contre, mais en général, quand on m’explique quelque chose, je comprends. Pas besoin de me donner douze exemples ou de me dire que « orange » c’est comme le fruit, hein, merci, je ne suis pas débile.
Les descriptions pléthoriques mènent à des digressions pénibles. Au point que celles qui seraient bienvenues se perdent dans des pages de brouhaha littéraire ennuyeux. Chaque phrase est prétexte à vous parler de choses qui n’ont rien à voir avec l’histoire. On se fout du nom du poète préféré d’un type que le héros rencontre, pour la première fois, mais on s’en fout complètement. Ce n’est pas ça, donner du corps à un univers. Alors encore une fois, c’est un problème de mesure. Une fois de temps en temps, ça passerait. Quand c’est une marque de fabrique, c’est non, pour moi.
D’autre part, quand on choisit délibérément d’écrire à la première personne, ce genre de commentaire ne peut pas avoir sa place dans le texte, puisque c’est un point de vue interne.
Transposez la situation et vous verrez. Vous rencontrez une personne que vous n’avez pas vue depuis longtemps ? À moins que ce soit un point essentiel rattaché à un souvenir particulier, allez-vous penser à vous le rappeler grâce à son poète préféré ? Évidemment, non.
Les ellipses ? Jaworski ne connait pas
Tout doit être dit et décrit. Chaque micro-information dans un paragraphe qui fait avancer l’histoire est prétexte à cinq pages de digressions insupportables.
Dix pages pour décrire la cohorte qui suit un enterrement. Encore dix pages sur les médecins qui s’extasient devant la prothèse de dents qu’ils installent dans la bouche de celui qui s’est fait tabasser.
Le scénario
Après 450 pages d’introduction, oui, quatre cent cinquante, un personnage explique enfin où va l’histoire. Pendant tout ce temps, vous avez subi une suite de petites intrigues de cours où les coups bas pleuvent.
Les personnages
Nombreux. C’est le premier mot qui me vient. Alors, certes, très bien décrits. On les connait par cœur (au point qu’ils sont sans surprise), malheureusement à travers les yeux du protagoniste qui offre une vue beaucoup trop objective.
Les lieux
Foisonnants. Vous ne raterez rien des palais, des rues, des iles et des royaumes. Et pourtant, vous serez infoutus de les situer. Nous avons ici une république dont le pouvoir est établi dans une ville, et qui fait la guerre à un autre royaume pour la domination d’iles. Le livre fait 969 pages et ils font l’économie d’une carte ? Non, mais, sérieux ? Comment peut-on s’immerger dans un monde qu’on ne visualise et qu’on ne comprend absolument pas ?
On peut vraiment écrire ça ?
J’étais sceptique après l’utilisation du terme « métèque » un peu désuet (sauf peut-être dans certains milieux, je ne sais pas…), mais quelques pages plus loin, le doute n’est plus permis :
« … quinze moricauds bardés d’airain tournaient lentement leur faciès de singe vers notre serviteur. » p43
On peut vraiment écrire ça ? Et ça passe chez Gallimard, sous couvert de fantasie, ce n’est pas pareil ?
Qu’il y ait de la diversité, c’est cool. Il peut y avoir des noirs, des cheveux crépus et un tas d’éléments de descriptions classiques de différentes ethnies, mais « des faciès de singe » ? Je n’en reviens pas. Et pourtant, je ne suis pas du genre à vouloir lisser les textes où à abuser du politiquement correct, mais là, je ne sais pas quoi dire.
Le meilleur moyen de perdre le lecteur
Encore une case cochée pour Jaworski :
« Faut-il préciser à mon lecteur éclairé que cette formalité ne m’enchantait guère ? » p46
Mais pourquoi le livre me parle ? Je ne vis même pas dans le même monde que lui…
S’il y a bien quelque chose d’extrêmement efficace pour vous sortir d’une lecture c’est quand le narrateur vous interpelle directement. Dans certains films, cela peut donner un effet comique quand il est utilisé à petite dose (encore ce problème de dosage), mais en littérature, je ne vois pas comment il peut être utilisé à bon escient. En tout cas, je n’ai jamais trouvé de cas où cela marchait.
Le point de vue interne pose d’autres problèmes en narration, dont Jaworski n’a pas su se détacher.
Il jongle avec les non-dits dans les attitudes empreintes de protocole de ses personnages. Ceux-ci cachent à leur interlocuteur leurs vrais sentiments. Avec un point de vue externe (extradiégétique pour les pointilleux), on peut facilement intégrer une traduction narrative pour expliquer ces comportements et traduire leur nature sans perdre de l’ambiance.
À cause de ce point de vue interne (intradiégétique), nous avons toujours ce personnage principal qui se charge de vous raconter, après ou pendant le dialogue, ce que les autres sont en réalité en train de dire. Il n’a pas besoin de se raconter ça à lui-même. C’est donc encore une fois uniquement au lecteur qu’il s’adresse pour que celui-ci comprenne la situation qui lui aurait complètement échappé sans cette intervention.
En gros, cela revient à écrire deux fois le texte. Une fois pour faire jolie, une autre pour être compris.
Est-ce que je vous conseille gagner la guerre
Il y a tellement mieux en fantaisie. Alors si vous avez déjà tout lu d’accord. Sinon tournez-vous vers la guerre de la faille de Feist ou vers le cycle des princes d’ambre de Zelazny, ou même vers Terremer d’U. K. Le Guin : de vraies références du genre, mêlant politique et intrigues.