L'attrape-rêves 509 / 1631 mots
Une chose que j’adorais, c’était les vieilles choses. Celles qui avaient une histoire qu’on ne connaissait pas, mais qu’on imaginait. J’aimais m’en entourer, car elles m’aidaient à trouver l’inspiration. Lorsque je ne savais pas quoi écrire, je les regardais ; c’était comme si je pouvais les écouter. Elles me racontaient leurs histoires et je n’avais plus qu’à les mettre en forme. C’était grâce à cette attirance que j’avais mis la main dessus.
Je marchais sans idée particulière. Le destin conduisit mes pas devant la vitrine poussiéreuse d’un antiquaire. Lui-même était sans doute plus usé que tout ce qu’il vendait. Je poussais irrésistiblement la porte de la boutique pour être assailli par une douce odeur de renfermée, caractéristique des vieux objets mal entreposés qui commençaient parfois leur décomposition. La même qu’on retrouvait dans les vieilles bibliothèques ou les caves humides. C’était une journée rayonnante, et ma promenade m’avait vidé la tête de toutes les petites tracasseries de la vie. Je me laissais guider dans les allées étroites et encombrées à la recherche de rien, mais à l’affût de tout. Je serais passé devant sans l’apercevoir si, en quelque sorte, je ne l’avais pas entendu m’appeler. Il était enfoui, perdu, sous une pile de différentes babioles d’un peu n’importe quand et je tendis la main pour l’extraire de cette sorte d’éboulement dont il était prisonnier. Il était très simple, à vrai dire assez peu attrayant et pourtant magnétique. Sa couverture de cuir griffée, raidie par le temps, était piquée par endroits d’une légère moisissure qui me déclencha une quinte de toux quand je la balayai du dos de la main. À l’intérieur, les pages au format in-dix-huit ressemblaient à du vieux papier mâché et avaient la couleur du tabac à chiquer. Sur le dos, aucune information, pas plus que sur la quatrième de couverture. La tranche avait pris, au fil du temps de son abandon, une couleur marron délavée. Un lien de cuir tout aussi bruni était collé dans la quatrième de couverture et venait s’enrouler dans une boucle en cuivre de la première de couverture. L’impatience me brulait. Je dénouais le lacet avec une appréhension irraisonnée. À ma grande surprise, ce n’était pas un livre, mais un cahier. L’épaisseur des pages m’avait trompé et ma surprise ne s’arrêta pas là. À la place des lignes écrites à la plume que je m’attendais à trouver dans ce genre d’ouvrage, il ne comportait qu’une suite de pages blanches. L’intérieur ne comptait pas plus d’une trentaine de feuillets reliés, tous étonnamment vierges, pour un cahier dont je m’attendais qu’il eût subi les outrages du temps et des maltraitances.
Contre trente-cinq francs, je repartais avec cette relique sous le bras. Sur le chemin du retour, je me demandais à quoi il allait pouvoir me servir. J’avais bien une vieille armoire bancale… cette idée déforma mes lèvres d’un rictus. Non, cet objet qui avait sans doute traversé des décennies tel un survivant ne pouvait pas finir comme ça. Il lui fallait un destin, un aboutissement, une raison d’être plus adaptée que de prendre la poussière.
Fiche de lecture de l'attrape-rêves
Informations commerciales
Cette nouvelle de 1631 mots fait partie du recueil arracher les ailes des mouches en vente sur Amazon.
Dépôt légal juin 2023
Résumé de la nouvelle
Un écrivain médiocre n’a rien sorti depuis longtemps. Au détour d’une flânerie, il est appelé par un très vieux cahier qu’il ramène chez lui. Ce cahier va décoincer son inspiration et il va se mettre à écrire ses meilleures histoires.
Intention littéraire du texte
Cette nouvelle, comme toutes les précédentes, est tirée d’un exercice de ma formation. Je ne m’en souviens plus bien, mais il fallait, entre autres, imaginer un objet magique pour un écrivain. Le plus évident (enfin, je crois) est de penser à un stylo qui écrit tout seul. Ça me fait penser qu’il faut absolument que j’installe un logiciel d’écriture vocale pour voir si ça me fait gagner du temps. Bref, j’ai cherché et il m’est venu cette idée du livre.
Tout peut arriver avec les livres. C’est, par exemple, le pivot du film « L’histoire sans fin », un de mes premiers contacts avec la fantasy.
Les livres sont les réceptacles de la magie dans beaucoup d’histoires. Dans la fantasy, on les appelle « grimoires ». Ils contiennent les sortilèges des sorciers. Dans la littérature, ils sont chargés d’un immense pouvoir, comme chez Lovecraft et bien d’autres. Mais dans la vie, leur pouvoir dépasse tout ce qu’on peut trouver dans l’imaginaire. Prenez les trois principaux : la thora, la bible et le coran et voyez le pouvoir d’ensorcellement qu’ils ont sur les hommes depuis deux mille ans et ce qu’ils leur ont fait faire.
Ceux qui détiennent le savoir ont très vite compris les pouvoirs du livre. Il leur servait à sélectionner les idées qui leur convenaient et à les transmettre. Oui, le pouvoir des livres est immense. Heureusement, aujourd’hui, il sert aussi à instruire et à divertir, mais il n’a rien perdu de son magnétisme. Il n’y a qu’à visiter une antique bibliothèque pour s’en rendre compte. J’espère que cela vous fait la même chose qu’à moi.
Les recherches
Il n’y en a pas eu pour cette nouvelle. C’est une pure fiction qui sort de mon imaginaire. Je me suis replongé dans certains souvenirs de films et de livre s’en approchant et mon esprit a fait le reste.
Processus de création de « L’attrape Rêves »
Revenons-en à cette nouvelle, le sujet n’était pas encore trouvé. Il me fallait un écrivain, forcément en difficulté s’il se tourne vers la magie ou l’irrationnel, pour trouver de l’inspiration et de l’autre côté, sa solution : un livre. J’essayais de trouver ce que ce livre pourrait avoir d’intéressant ou de fabuleux à offrir à cet écrivain ; quel savoir il pourrait lui révéler et comment il s’en servirait. J’ai alors compris que la clé de mon histoire ne serait pas ce qu’il contenait. Son pouvoir résiderait dans sa faculté à faire naître des idées nouvelles. Au début, je l’imaginais avoir sa propre volonté et suivre un but précis, mais cela nous emmenait trop loin. J’ai donc limité la relation entre le livre et l’auteur. Les deux devaient interagir seuls. Le livre serait donc le guide occulte de l’imagination inconsciente de l’auteur. Il lui prend ses idées malgré lui, il les façonne en joyau dans la douleur.
Une fois que j’avais le sujet, il me fallait une fin. Jouer volontairement avec des pouvoirs qui nous dépassent ne finit jamais bien dans aucune histoire.
C’est autre chose quand les histoires où des événements occultes tombent sur quelqu’un qui n’a rien demandé et qui les combat. Celui-là a une chance de s’en sortir à la fin. Il a même une chance de jouer du Métallica en enfer devant des monstres. Je m’égare encore.
Tout ça pour dire qu’il fallait une fin en accord avec le sujet, donc une addiction, une folie, puis une mort, le livre ayant pris tout ce qu’il y avait à prendre.
Les personnages
Il n’y en a qu’un. On se trouve typiquement dans la situation qu’on appelle « le voyage du héros ». Le personnage est inconsistant au début. Il est peu capable, sans disposition particulière, sans réussite quelconque. Il rencontrera son destin sous une forme inattendue pour devenir quelqu’un d’autre.
Les lieux
Il y en a deux. D’abord, le lieu de la rencontre qui devait être mystérieux ; à la limite du fantastique. Le deuxième est le bureau où l’écrivain travaille qui devait correspondre à une réalité beaucoup moins excitante pour contraster.
Le scénario
le scénario s’articule complètement autour du « voyage du héros » dans une forme classique. Un personnage part d’une situation initiale. Il rencontre un événement particulier qui va bousculer sa routine. Il est d’abord séduit. Il a l’intuition qu’il y a un piège. Il lutte contre lui. Il est mis face à un dénouement. Le personnage a beaucoup évolué jusqu’à la situation finale.
Le mot de la fin
Voilà l’histoire de l’attrape-rêve. N’hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé.