
Souvenirs d'enfance 509 / 4256 mots
Cyril claque la porte de sa maison d’un quartier pavillonnaire des Clayes-sous-Bois. Encore une connerie qui a pris des proportions délirantes. Il prend la voiture et se met à rouler. Trop vite. Sans direction précise. Un feu rouge l’arrête à côté d’une vitrine. Il tourne la tête et regarde le reflet de son buste qui dépasse de la portière. Il serre les dents. Il en veut à tout le monde. Son patron, sa femme, la vie. Aucun n’a tenu sa promesse ; ou du moins les promesses qu’il s’était imaginé.
Son travail ? Alimentaire, pas plus. Les opportunités qu’il a ratées et celles qu’on lui a refusées l’ont englué dans une routine infernale et une inertie déprimante. Son mariage ? Une parenthèse enchantée qui promettait contractuellement d’être éternelle. Le verni du bonheur s’est écaillé. Il se demande maintenant comment refermer cette parenthèse. Et la vie. Où est passé l’idéal de liberté et de profusion de tout qu’on lui avait fait miroiter ; qui lui était dû comme une part de contrat à respecter. Où sont les robots qui devaient le soulager des tâches ingrates pour le laisser vaquer à ses loisirs ? Ah, ne lui parlez pas des caisses automatiques qui le mettent hors de lui, des livraisons en pick-up ou des drives qui vous arnaquent une fois sur deux. Où sont passés les rêves des années 80 ? Pourquoi personne ne lui a dit que ce qu’il voyait à cette époque était le monde d’adulte de ses parents et que le sien serait différent ? Pourquoi on ne l’a pas préparé à ramasser les pots cassés ?
Sa femme appelle ça « sa crise de la cinquantaine ». Elle est facile celle-là. Pour lui, c’est plus profond que cela. Quelque chose lui a échappé. Quelque chose qu’il ne pourra jamais rattraper.
Quand Cyril rouvre les yeux, il a parcouru plusieurs kilomètres. Il n’a aucun souvenir de la route. Il tourne la tête et reconnaît Plaisir, sa ville natale. Inconsciemment, une idée en poussant une autre, il a dû retourner sur les lieux de sa vie précédente ; celle où il n’avait pas d’autres questions à se poser que de ramener de bonnes notes à la maison et de ranger sa chambre. Au loin, il voit émerger l’immeuble gris du deux rue Saint Exupéry qu’il connaît parfaitement. Puisqu’il est là, après tout… Il s’engage dans la rue en sens unique et se gare sur le parking. Entre une Renault 12 et une Peugeot 504. Il se tient debout face au bloc gris magnifique et apaisant. Il regarde attentivement l’appartement de gauche au deuxième étage et trouve que ça manque de fleurs. Il faudrait ajouter quelques géraniums. Il avait horreur de ces plantes et de leur forte odeur, mais sa mère en mettait partout pour chasser les moustiques. Des cris attirent son attention à sa gauche.
Sur le côté de l’immeuble, un bac à sable enjambé par une poutre en bois est aménagé au milieu d’une pelouse. Derrière, une colline couverte de mauvaises herbes sert de piste de luge l’hiver.
Souvenir d’enfance | un voyage au-delà des portes du temps
« Souvenir d’enfance » est une nouvelle fantastique disponible dans le recueil « Tourments »
17 pages
Recueil autopublié en 2024 et disponible sur Amazon
L’idée de départ
Cette nouvelle est très particulière parmi toutes celles que j’ai écrites, mais ne brulons pas les étapes.
L’histoire est une réécriture personnelle de l’épisode 5 de la 1re saison de la série « The Twilight Zone » diffusée en 1959. En France, la série est diffusée sous le nom « la quatrième dimension » ou « la cinquième dimension ». Ce deuxième titre étant une traduction plus convenable de la signification de Twilight Zone si on considère que la 4e est le temps.
J’avais acheté le coffret complet il y a très longtemps et je ne l’avais jamais visionné. Il y a une télé et un lecteur DVD en face de mon bureau. Je ne sais plus ce que je faisais quand je me suis dit que ce serait peut-être le bon moment pour regarder cette vieille série en noir et blanc. Au 5e épisode, j’ai eu une vision. Je me suis vu à la place de ce type qui voyageait dans la 4e dimension et se rencontrait lui-même des années plus tôt. J’ai commencé par me demander quel conseil ou quel avertissement je laisserais à mon moi jeune, si j’en avais l’occasion. Des images de ma vie se superposaient à celles que la télé m’envoyait. En même temps, cet épisode m’a plongé dans une grande nostalgie. Je pense avec le recul que c’était presque de la tristesse d’une enfance agréable qui a défilé trop vite.
L’écriture en a été grandement facilitée, car une fois que les images sont nettes dans votre tête, et que vous avez les sentiments qu’elles doivent évoquer, il est assez facile de les traduire en mots. En tout cas, j’espère y être parvenu.
C’est pour cette raison que je vous disais que cette nouvelle est très particulière. C’est parce qu’elle est en grande partie autobiographique. Naturellement, mon histoire n’a pas encore touché à sa fin au moment où je l’ai écrite et j’ai dû en trouver une plus appropriée pour obtenir une chute intéressante pour les lectrices et les lecteurs.
Résumé
Un homme roule en voiture. Il est préoccupé et se dit que sa vie n’est pas celle dont il rêvait. Il ne fait pas attention à la route. Plusieurs minutes plus tard, il se retrouve dans sa ville natale, là où il jouait quand il était enfant, il y a 25 ans de cela.
Sauf que l’air de jeux et tous les alentours sont exactement comme dans ses souvenirs (c’est l’effet twilight zone qui l’a fait voyagé à travers le temps et l’espace). Il retrouve ses copains qui sont restés comme à l’époque et il se retrouve lui-même jeune. Il décide de parler à son double jeune pour lui faire profiter de son expérience et modifie le cours du temps.
Processus de création de la nouvelle
J’ai déjà presque tout dit dans la présentation. L’écriture de cette nouvelle était un peu particulière, car l’histoire était déjà là sous forme d’épisode de la série. Je n’ai fait « que » l’adapter en y incorporant quelques souvenirs.
Les recherches
Il n’y en a pas eu. Je me suis contenté de fermer les yeux et mon cerveau stimulé par la série me renvoyait les images de l’époque avec un tas de souvenirs auxquels je n’avais plus repensé depuis des années. Ce fut une grosse régression mentale accompagnée d’une grande nostalgie. C’est peut-être pour cela que la fin est ce qu’elle est.
L’intention littéraire
La nostalgie est le mot le plus important de cette nouvelle.
C’est le sentiment que j’aimerais faire ressortir à la lecture de ce texte. J’espère que mon passé éveillera les meilleurs sentiments de certains lecteurs et qu’ils voyageront un moment dans leur propre enfance.
Le scénario
Le scénario est très simple : un adulte se rencontre lui-même jeune. En lui parlant, il modifie à la fois le futur de sa version jeune et le présent de la version adulte de cette personne.
C’est le fameux « si seulement je pouvais revenir en arrière pour changer ça ». Ne rêvez pas. Ceux qui vous disent « moi je ne changerais rien, ma vie est parfaite comme ça » ne le pensent pas. Impossible. Je n’y crois pas un seul instant. Quant à ceux qui prétendent que « si c’est ainsi c’est que c’est ce qui devait m’arriver », je trouve cela trop facile. Cela peut servir de caution à beaucoup de penchants un peu sombres ou relever d’une simple faignantise pour éviter une introspection.
Bref, le scénario de cette nouvelle est très classique. Celui de la série insiste beaucoup sur l’affrontement de l’adulte avec son environnement parce qu’il ne veut pas croire ce qui lui arrive. C’est légitime, mais j’ai gommé cet aspect. J’espère qu’on ne me reprochera pas l’incohérence du type qui est à peine étonné par ce qui lui arrive. Tout d’abord, je l’explique, car il est à la frontière du rêve et cela pourrait très bien se passer dans sa tête. D’autre part, même en admettant qu’il a pleinement conscience de ce qui lui arrive, je prends le parti de l’engager dans ce voyage qu’il considère comme une chance à saisir.
Les personnages
Il y en a peu. C’est un des critères d’une nouvelle. Ils ont tous existé et ressemblent tous au portrait que j’en fais dans l’histoire. Ils sont extraits d’une période fantastique de ma vie. Bien sûr, il y avait déjà l’école qui noircissait le tableau, mais avec le recul, c’était quand même bien.
Au moment où j’écris cette chronique, la nouvelle n’est pas encore publiée. Je m’aperçois qu’à part le nom de la vieille du premier que j’ai oublié, mon prénom est le seul que j’ai modifié alors que tout le reste est tiré de la réalité. Je me demande pourquoi…
Les lieux
À cette époque, j’habitais un immeuble de 5 étages à Plaisir exactement comme je le décris dans cette histoire. Naturellement, si vous le cherchez d’après la description, vous n’êtes pas près de le trouver, car tous les changements que je décris ont vraiment eu lieu. Ça m’a beaucoup attristé quand j’y suis retourné pour voir à quoi cela ressemblait aujourd’hui.
Le titre
Parfois, le titre s’impose, mais des fois il ne vient pas. Là, il n’est pas venu.
Voici ceux que j’avais imaginés :
- « Futur Souvenir » indiquait la notion de quelque chose dont on se souvient, alors qu’il n’a pas encore eu lieu. C’est mon interprétation, mais je ne sais pas si cela aurait été évident pour le lecteur.
- « Contempler le vide derrière soi ». Celui-là était un peu dramatique et donnait une information différente de celle du texte. Il impliquait une idée de terre brûlée au passage du personnage qui n’était pas bonne.
- « Crise de cinquantaine ». Il était axé uniquement sur le point de départ de la nouvelle et ne révélait absolument pas le côté fantastique, et cela faisait un peu mélodrame.
Finalement, j’ai choisi « souvenir d’enfance » parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, même si c’est un souvenir provoqué par un événement futur.
Le mot de la fin
Il va de soi que j’espère que cette histoire ne sera jamais lue par ma femme. Je doute qu’elle ait suffisamment de second degrés pour l’apprécier.
Comme d’habitude, je vous laisse déguster les 500 premiers mots de cette nouvelle dans l’encart. Bonne lecture et n’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez.