Salem, Stephen King - 4e
4 étoiles

Salem de Stephen King en version augmentée

Informations commerciales

Édition augmentée et illustrée, édité par JC Latès dépôt légal novembre 2006, 609 pages et 894 gr
Première publication en 1975
Préface et note de Stephen King, 6 pages.
Salem, 473 pages
Un dernier pour la route (nouvelle), 17 pages.
Jerusalem’s lot (nouvelle), 38 pages.
Scènes coupées, 52 pages.
Postface, 6 pages.

Explication sur l’augmentation du roman

La présentation liminaire indique « traduction originale de Christiane Thiollier et Joan Bernard, révisée et augmentée par Dominique Defert… Édition complétée et illustrée ». À ce moment, mes yeux se sont écarquillés. Mon cœur s’est emballé. Quoi ? Une édition augmentée par un traducteur ? Mais de quel droit ? Alors, je ne me suis pas amusé à comparer les traductions, mais j’espère que l’augmentation ne concerne que les notes de l’auteur et l’ajout des scènes coupées pour cette nouvelle édition.

Résumé de Salem

Ben Mears, un auteur en mal d’inspiration – oui, encore – revient dans la petite ville de son enfance pour écrire son prochain roman. Il espère louer une vielle maison qui a vu son propriétaire tuer sa femme avant de se suicider, pour trouver l’inspiration. Il constate que cette maison a été rachetée et qu’on en sait peu sur les nouveaux propriétaires. Peu de temps après leur arrivée à Jerusalem’s lot des disparitions étranges et des morts inexplicables ont lieux. Une résistance se met en place.

Mon avis

Sur l’écriture en elle-même

L’histoire commence sur un prologue incompréhensible. Arrivée à la fin on se rend compte qu’en fait c’est la fin du livre qui a été tronquée et qui forme une sorte de boucle temporelle assez étrange.

Malgré quelques longueurs et le pitch un peu spécial du type qui cherche l’inspiration d’une manière bien étrange, on se laisse vite prendre à l’intrigue. Il y a beaucoup de digressions que j’ai lues en diagonales pour ne pas perdre le fil de l’histoire principale. Je cite par exemple un guide touristique de plusieurs pages sur Salem avec l’agencement des rues et leurs noms ainsi qu’une foule de détails sans importance. On a aussi régulièrement des personnages qui repensent à des trucs de leurs vies dont on n’a rien à faire, mais qui ne complètent pas non plus le profil du personnage en question.

Une fois triés les morceaux indigestes, le reste est vraiment prenant. Encore un élément frustrant, je ne sais pas comment finit mon personnage préféré. À un moment, il s’enfuit et puis c’est terminé. On n’a plus de nouvelles de lui. Ce serait une série, on se dirait qu’on est bon pour un crossover l’année suivante.

Sur l’histoire

On est plongé dans l’horreur d’une petite ville dont tout le reste des États-Unis se fout. Cela m’a fait penser à cette phrase dans « American Psycho » que je vais paraphraser : « Tue une seule baleine et tu auras toutes les associations de défense des animaux sur le dos, alors que si tu décimes un banc de harengs, personne ne le remarquera ».

Le suspense est bien ménagé. L’horreur est graduelle et enveloppante ; poisseuse. On s’enfonce littéralement dans une lutte acharnée et désespérée pour la survie. La fin est ouverte dans un épilogue au déroulement temporel plus étendu.

Sur les personnages de Salem

Ils sont tous excellents. Jusqu’au type accoudé au comptoir d’un pub miteux qu’on va croiser quelques minutes. Les plus anodins sont fixés en quelques phrases. Les personnages principaux sont très bien développés, attachants et diversifiés. Leurs réticences, leurs motivations et leurs combats intérieurs sont parfaitement rendus et participent à vous plonger dans la tourmente.

Un écrivain, un médecin, un prêtre, un professeur de lycée et un ado. Voici la composition de cette équipe improbable qui va lutter contre les forces du mal et franchement, ça serait vendu comme ça, ça ferait bien longtemps que j’aurai lu ce livre.

Un dernier pour la route

C’est une nouvelle très sympa. Je ne sais pas quoi en dire de plus. Elle a tous les codes de la nouvelle d’horreur, un début et une fin. Cela revient à ce que je disais dans ma chronique sur « Si ça saigne », Stephen King assure souvent dans le style de la nouvelle alors qu’il s’embourbe régulièrement dans des romans trop longs.

Jerusalem’s lot

Une nouvelle épistolaire. Pas mon style préféré. C’est sans doute celle qui se rapproche le plus de « Dracula » dont Stephen King nous parle en postface.
Au long des 35 pages, le climat de suspicion évolue en crainte puis en certitude. L’un des personnages principaux est l’héritier d’une ascendance dont il ne peut se détacher. Le second est un majordome trop dévoué. Les deux ensembles vont tenter d’affronter l’héritage encombrant du premier.

On sent différentes influences et un mélange des genres auquel on ne s’attend pas, mais pourquoi pas. À titre personnel, j’ai trouvé la fin inappropriée. J’aurais préféré que l’auteur choisisse son registre et s’y tienne au lieu d’intégrer un arc narratif sur le De vermis mysteris et une créature fantastique (Yog Sottoth est même nommé) dont on ne sait pas si elle a été fantasmée, tellement elle est encombrante pour la fin du récit.

Les scènes coupées

Voilà le gros plus de cette édition augmentée. Et quand je dis un gros plus, c’est vraiment un très gros plus.
Sur chaque scène, on a l’indication de l’endroit du livre où elle se trouvait ce qui permet de les lire dans l’ordre de lecture principal et de faire des comparaisons. En admettant qu’on puisse s’y référer comme un premier jet ou une version d’auteur plus qu’une version d’éditeur, on apprend beaucoup de choses.

Salem, Stephen King - intérieur

Les différences entre la version commerciale et les scènes coupées sont vraiment énormes. On s’interroge sur les raisons du changement de certains détails, comme le nom du méchant. On rencontre certains passages complètement modifiés et on découvre certaines suppressions. Chaque fois, en tout cas pour ma part, j’ai trouvé la version commerciale meilleure et à aucun moment je n’ai regretté la coupure.
Dans les scènes coupées, on a l’impression que l’auteur jette tout ce qu’il a dès le début sans aucun ménagement du suspense, à l’image de cette citation dans un dialogue (p568) :

« Tu sais pourquoi Poe était un grand écrivain ? Et Machen ? Et Lovecraft ? Parce qu’ils avaient un pipeline branché directement sur le subconscient. »

La version commerciale est beaucoup plus subtile et progressive.
En quelque sorte, c’est comme si on lisait entre les lignes du livre et c’est une véritable leçon d’écriture.

Faut-il lire Salem en version augmentée

Au global, j’ai beaucoup aimé cette lecture. Le roman principal est très prenant. Les deux nouvelles sont agréables et les scènes coupées de cette version augmentée sont un véritable plus pour découvrir le travail de l’auteur. À ce propos, la préface et la postface sont un bonheur.
Je ne peux que vous inciter à vous procurer cette version si vous avez déjà aimé le roman ou si vous souhaitez le découvrir. Vous reviendrez me dire ce que vous en avez pensé.