Un thriller glaçant, et vrai chef-d’œuvre et un coup de cœur pour le style autant que pour le contenu
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Shutter Island est un thriller policier écrit en 2003
Il a bénéficié d’une très bonne adaptation au cinéma.
Édité par Payot et Rivages
Dépôt légal janvier 2006
394 pages
Résumé de Shutter Island
En 1958, une ile des USA abrite un hôpital psychiatrique expérimental qui tente de soigner les malades les plus difficiles et les plus violents. Deux marshals y sont envoyés pour enquêter sur la disparition mystérieuse d’une patiente. L’un des deux a un intérêt particulier dans cette affaire. Le meurtrier pyromane de sa femme y est enfermé depuis quelques mois. L’enquête va les mener dans les bas-fonds de ce que recèle l’humanité.
Mon analyse de Shutter Island sans spoiler
Vous pouvez lire cet article jusqu’à la fin sans craindre de voir votre découverte gâchée par une divulgation du plus important.
J’ai vu le film deux ou trois fois, alors je n’ai pas été surpris par l’histoire et pourtant, elle est redoutablement efficace.
Le scénario
C’est le point fort de ce livre. Il est un exemple de manipulation du lecteur. Une parfaite maitrise du sujet et d’une dextérité et d’une sensibilité que j’ai rarement lue. Chose intéressante, toutes les 394 pages sont importantes. Il n’y a pas ce creux dans le milieu du livre dont souffrent nombre de romans.
Des temps morts sont ménagers, mais ils servent chaque fois la psychologie des personnages.
Une autre chose admirable est le fait qu’à la dernière ligne quand vous vous rendez compte que vous avez été baladé, la seule chose dont vous avez envie et de revenir à la première page pour voir à côté de quoi vous êtes passés.
Les personnages
C’est peut-être là que réside le plus gros du travail de l’auteur dans son exercice de funambule,car oui, c’est bien de cela qu’il s’agit. Ils se divisent en trois catégories. Le personnel soignant tous excellent dans leur rôle. Le passage avec le psy est merveilleux. Les marshals sont parfaitement cohérents, tellement réalistes et vivants. Les dialogues sont également une leçon de justesse et de naturel qui participe beaucoup à rendre ces deux personnages crédibles. Mention spéciale pour ces enquêteurs.
Et pour finir les patients. Ils font froid dans le dos. Pour certains leur instabilité est telle qu’à chaque ligne de dialogue, vous les imaginez en grenade dont la goupille cède petit à petit et vous vous demandez quand elle va exploser. La tension est très bien gérée. Je ne suis pas psy, mais j’ai écrit un livre mettant en scène des malades psychiatriques et ce n’est vraiment pas évident d’une part de ne pas tomber dans des gros clichés et d’autre part de rendre compte des mondes dans lesquels certains individus vivent et qui ne vous sont tout simplement pas accessibles. La mise en scène de ces personnages est effrayante non pas parce qu’ils commettent des actions effrayantes, mais justement parce qu’ils n’apparaissent pas comme ce que leur dossier laisse supposer des monstres qu’ils sont. Ils ne montrent qu’un aspect contenu et c’est peut-être pire quand on ne sait pas à quel moment le diable va sortir de sa boite.
Les lieux
L’enquête se déroule sur une ile et dans des bâtiments hospitaliers. Les extérieurs sont très décrits, car une tempête d’une extrême violence fait rage. Les 3 pavillons des détenus/patients le sont un peu moins, car l’attention est portée sur les résidents. Ils sont tout de même bien suffisants pour nous plonger dans une atmosphère oppressante pas très joyeuse.
Une critique de la psychanalyse en toile de fond
Les quatre-vingts dernières pages du livre sont consacrées, outre le dénouement de l’intrigue, à la justification de cette situation par le médecin. On est à la fin des années 50. La « psychanalyse » préconise beaucoup les traitements de chocs que l’on pourrait qualifier d’invasifs et définitifs.
Par contre, le livre a été écrit en 2003. Un recul largement suffisant pour voir le travail effectué par le lobby pharmaceutique pour raccrocher la psychanalyse à la médecine et donc avoir la possibilité de définir des maladies pour prescrire des traitements.
« En ce moment même, la balance penche en faveur des chirurgiens, d’accord, et pourtant, la situation risque d’évoluer rapidement. Les pharmaciens prendront le relais, mais ce sera tout aussi barbare malgré les apparences. On continuera à créer des zombies et à les placer dans des établissements spécialisés ; simplement, on recouvrira le processus d’un vernis plus acceptable pour le grand public. »
Les fous ne sont plus des fous. Ce sont des paranoïaques, des maniaques dépressifs, etc. À chaque maladie, son traitement et les chimistes se montrent très inventifs. Comme tout commerce, ils déploient leurs armées de commerciaux chargés de vendre leurs produits. Les médecins et psychiatres sont intégrés au système avec les mêmes « avantages en nature » que tout lobby propose.
En 2024, on se trouve confronté à ce système déviant dont les conséquences pèsent non pas sur les laboratoires, mais sur les finances publiques. Les entreprises pharmaceutiques à but très lucratif fabriquent des tonnes de psychotropes, pendant que les médicaments concernant les maladies physiques ou orphelines sont délaissés. Comprenez bien qu’un problème physique est temporaire et une maladie orpheline n’est pas rentable, alors que le cerveau, quand on vous a posé un diagnostic psychiatrique, c’est à vie.
Le prologue dit tout — SPOILER —
Je n’aime pas les prologues. En général, je trouve que c’est de la mise en condition facile à moindres frais. Dans de rares cas, ils servent le récit comme dans « les courants de l’espace » de I. Asimov.
Dans Shutter Island, l’auteur nous gratifie de la même boucle. De compréhension et de manipulation. Le prologue dit tout. Il vous dit explicitement à quoi tient l’intrigue. Et pourtant je suis complètement passé à côté, comme je l’imagine, 99 % des lecteurs. Seulement, quand vous lisez la dernière ligne du livre, vous êtes déjà sous le choc de la fin à l’ambiance vraiment lourde.
Vous avez compris que vous avez été manipulé pendant 350 pages, et on vient de vous expliquer comment. Mais quand vous rouvrez le livre au début et que vous vous rendez compte qu’on vous avait prévenu dès le début… Comment dire… Vous vous sentez à la fois insulté qu’on ait marché aussi facilement sur votre discernement et à la fois complètement satisfait d’avoir trouvé un livre qui dépasse toutes vos attentes.
Quelques mots sur le film
C’est assez rare pour le signaler, le film est à la hauteur du livre. Étonnamment, le film n’est pas une adaptation au sens ou on se sert d’un matériel de base pour servir le récit d’un réalisateur. Ici, le film est la mise en image parfaite du livre. Preuve est qu’il se suffit à lui-même et qu’une modification, des coupes ou des arrangements étaient superflus.
Le duo d’acteurs L. Dicaprio/M. Ruffalo fonctionne magnifiquement bien et rend un hommage vibrant aux dialogues de D. Lehane. Sans oublier B. Kingsley dans le rôle du psychiatre de l’établissement dont on ne peut guère parler sans trop en dévoiler.
Est-ce que je vous conseille Shutter Island ?
C’est un grand oui sans réserve. C’est même indispensable. Ce livre devrait se trouver dans toutes les bibliothèques.
Mon seul regret est que la machine à effacer la mémoire n’existe pas et que je ne puisse jamais à nouveau découvrir ce livre avec un esprit ignorant tout de cette histoire.